Méthodologie de l’histoire de la philosophie moderne, explication de texte Edmond Husserl, L’idée de la phénoménologie Deuxième leçon, pages 54 et 55, note obtenue 18/20

Méthodologie de l’histoire de la philosophie moderne, explication de texte Edmond Husserl, L’idée de la phénoménologie Deuxième leçon, pages 54 et 55, note obtenue 18/20

Note : 18

Excellent travail ! Votre texte est clair, bien structuré, et suit de près le fil argumentatif de l’extrait choisi. Vous avez très bien mobilisé toutes les différences conceptuelles qu’on a discutées pour expliquer ce passage. Félicitations !

Texte à commenter :

Tout vécu intellectuel et tout vécu en général, au moment où il s’accomplit, peut devenir objet d’une vue et saisie pure, et dans cette vue il est une donnée absolue. Il est donné comme un être, comme un « ceci-là », dont c’est un non-sens de mettre en doute l’existence. Je peux, il est vrai, me demander de quelle sorte d’être il s’agit là et quel est le rapport de ce mode d’être avec d’autres modes d’être ; je peux d’autre part me demander ce que la donnée ou la présence signifie ici, et je peux, poussant la réflexion plus loin, amener sous une vue cette vue même dans laquelle cette donnée ou ce mode d’être se constitue. Mais en tout ceci je me meus continuellement sur un terrain absolu, c’est-à-dire : cette perception est et demeure, tant qu’elle dure, un absolu, un « ceci-là », quelque chose qui est en soi-même ce qu’il est, quelque chose sur quoi je peux mesurer comme sur une mesure ultime ce que être et être donné peut signifier et ici doit signifier, du moins naturellement pour le type d’être et de présence dont « ceci-là » est un exemple. Et cela vaut pour toutes les figures spécifiques de pensée, où qu’elles soient données. < mais elles peuvent aussi toutes être des données dans l’imagination, elles peuvent être « quasi » présentes devant les yeux, sans pourtant l’être comme présences actuelles, comme perceptions, jugements, etc., accomplis actuellement. Même alors elles sont, en un certain sens, des données ; elles se trouvent là d’une manière intuitive ; nous ne parlons pas d’elles simplement sous forme d’une indication vague, sous forme d’une visée vide : nous les voyons et pouvons, en les voyant, saisir par la vue leur essence, leur constitution, leur caractère immanent, et ajuster notre discours, d’une manière parfaitement adéquate, à la plénitude de clarté qui s’offre à la vue. Ceci cependant demandera aussitôt d’être complété par une discussion au sujet du concept de l’essence et de la connaissance de l’essence.> (Husserl, L’idée de la phénoménologie, deuxième leçon, pages 54 et 55)

          L’extrait dont nous faisons une explication se trouve dans l’ouvrage intitulé L’idée de la phénoménologie. Il se compose de cinq leçons qui furent prononcées à l’Université de Göttingen, en avril-mai 1907. Le but de cet ouvrage est de faire une critique de la connaissance. Dans la première leçon, Husserl distingue l’attitude de pensée naturelle et l’attitude de pensée philosophique. Dans la pensée naturelle, la connaissance va de soi : je vois un objet, je connais cet objet. Dans la pensée philosophique la possibilité même de la connaissance directe est interrogée. Dans l’attitude naturelle il n’y a aucun doute qu’il y a un lien entre les objets et mes perceptions. Dans l’attitude philosophique il y a remise en question de la possibilité de connaître les objets. La relation entre le vécu cognitif et l’objet devient un mystère dans l’attitude de pensée philosophique, même si cela ne change rien à l’expérience. Dans le seconde leçon, dont est tiré notre extrait, Husserl rappelle la démarche cartésienne du doute : Descartes pousse la démarche sceptique à l’extrême en mettant la totalité de ses connaissances en doute et il arrive à la certitude que pendant qu’il doute, il y a quelque chose qui doute, c’est le cogito. Tout comme Descartes utilise le doute pour trouver un fondement solide, de la même façon Edmund Husserl cherche ce dont il n’est pas possible de douter. L’extrait qui nous intéresse ici parle des données c’est-à-dire de ce qui est donné. La question à résoudre est de savoir ce qu’est une donnée. Dans un premier temps, des lignes 1 à 12, Husserl définit les données perçues, puis dans un second temps Husserl définit les données de l’imagination (lignes 12 à 20).

                Dans ce premier temps de l’extrait, Husserl se concentre sur les données perçues tout d’abord en montrant les différentes interrogations possibles par rapport à ces données, des lignes 1 à 7, puis en établissant les certitudes concernant ces données perçues.

              « Tout vécu intellectuel ou tout vécu en général » (ligne 1) : Husserl définit par ces mots le cadre dans lequel il situe sa réflexion. Pour Husserl ce qui prime c’est la relation entre l’objet et la conscience : il n’y a pas d’un côté l’objet et de l’autre le sujet, il y a d’abord et avant tout une relation entre une conscience et un objet visé par cette conscience. Cette relation c’est le vécu que Husserl cherche à analyser précisément grâce à la réduction phénoménologique. Le monde, la chose en soi, la sphère transcendante est mise entre parenthèse. Seule la sphère immanente, l’ensemble des vécus de la conscience, est conservée dans la réduction phénoménologique. De plus, tout caractère particulier de la conscience est également mis entre parenthèse, il ne s’agit pas d’étudier le vécu particulier d’une conscience en particulier mais le vécu général de toute conscience en général, le moi pur. Ici le vécu est donc ce que vit une conscience et une conscience étant toujours une conscience de quelque chose, il s’agit donc de ce que vit une conscience en tant qu’elle vise un objet.

                « Au moment où il s’accomplit » (ligne 1) : là encore il s’agit de mettre à cadre au discours. L’objet du propos est la conscience qui vise un objet, un vécu ou acte de conscience, et il s’agit de considérer ce vécu à un instant précis : au moment où il est en train de s’accomplir. Cela met donc de côté toute analyse a posteriori ou a priori, la démarche de Husserl est centrée sur la conscience qui vise un objet au moment où elle est en train de viser cette objet. Que souhaite-t-il faire dans de ce cadre ?

                Husserl souhaite étudier ce vécu en train de se dérouler, il veut en faire un « objet d’une vue et saisie pure ». Il ne veut donc pas étudier ce que la conscience vise ni la conscience elle-même en train de viser un objet mais bien le vécu de cette conscience en train de viser un objet. Le fait de voir cette conscience en train de viser un objet est pur dans la mesure où au moment où Husserl observe le phénomène, il ne peut pas douter qu’il est en train d’observer un phénomène. Ce phénomène en train de se dérouler est « une donnée absolue» (ligne 2), sans aucun doute possible, dans la mesure où le vécu est effectivement en train d’avoir lieu, il n’y a donc pas de doute possible sur le fait qu’effectivement la conscience est en train de viser un objet et que cela est un vécu pour la conscience. Le fait d’être absolu signifie qu’il n’y a pas besoin de présupposé, d’import de quelque chose d’autre pour avoir ce phénomène. Afin de préciser sa pensée, Husserl joue avec le langage et transforme l’expression « ceci-là » en nom, le vécu devient donc un « ceci-là » (ligne 3). Husserl va même jusqu’à personnifier le vécu en lui attribuant la qualité d’« être » (ligne 3) : le vécu n’est donc plus simplement un objet observé mais un être. Husserl insiste par là sur le caractère évident du vécu, il existe, il est, il ne peut donc pas être mis en doute. Il existe sans avoir besoin de prédiquer quoi que ce soit sur ce vécu. Et c’est d’ailleurs la conclusion qu’apporte Husserl à sa phrase : « c’est un non-sens de mettre en doute l’existence » de ce vécu.

                 Pourtant, même si l’existence du vécu est indubitable, Husserl admet qu’il est tout à fait acceptable de se questionner sur ce qu’est ce vécu : « quel sorte d’être il s’agit là » (ligne 4), « quel est le rapport de ce mode d’être avec d’autres modes d’être » (lignes 4 et 5), sont des questions légitimes. En analysant phénoménologiquement le sens cognitif, le vécu, on découvre la multiplicité des vécus, les esquisses, la co-conscience, l’unilatéralité, la vue et saisie pure. Les esquisses désignent le fait qu’un seul objet unitaire nous est donné de multiples façons : je peux le voir, le toucher, sentir son odeur et chaque perception peut encore être divisée, je peux voir de côté, puis en me déplaçant c’est un autre côté qui m’est donnée, et ainsi de suite. La co-conscience est le fait qu’en visant un objet avec ma conscience je ne vise qu’une seule face de cet objet mais j’ai en même temps conscience de ces autres faces et de ce qui entoure l’objet. Quant à l’unilatéralité c’est le fait que tout objet visé par la conscience ne se donne que par un seul côté à la fois, la conscience ne peut viser qu’un seul côté à la fois de l’objet visé. Même si le vécu est certain, il est donc possible de s’interroger sur le type de vécu dont il s’agit.

              Il est également possible de questionner la signification de ce vécu à ce moment précis : se « demander ce que la donnée ou la présence signifie ici » (lignes 5 et 6). Husserl en listant les questionnement possibles nous montre qu’il limite ici son propos à une seule recherche mais qu’il y en a bien d’autres. Il va ainsi au-delà de critiques qui pourraient lui être faites ou d’incompréhension de ces propos, il cherche à être le plus clair possible. Il va d’ailleurs très loin dans les interrogations possibles puisqu’il propose même de pousser « la réflexion plus loin » (ligne 6 » et d’amener « sous une vue cette vue même dans laquelle cette donnée ou ce mode d’être se constitue » (lignes 6 et 7). La réflexion pour Husserl est un terme technique, il s’agit de se tourner son regard vers le vécu cognitif, vers les modes d’apparition, sans cette capacité de la conscience de se tourner son regard vers elle-même, nous ne pouvons pas avoir conscience de la présence des différents modes d’apparition. Cette capacité est partagée par l’ensemble des êtres humains mais elle n’est pas présente chez les animaux. Ici Husserl propose en quelque sorte une réflexion de réflexion puisqu’il s’agit d’observer la vue en train d’observer le vécu. La conscience est donc en train de viser un objet, d’observer ce vécu et d’observer cette observation du vécu : Husserl nous montre là à quel point il est conscient des capacités de la conscience humaine et ouvert à différents type d’observations possibles.

                Après avoir définit le cadre dans lequel il se situe de manière négative, c’est-à-dire en listant toutes les investigations possibles mais qui ne sont pas celles de son propos ici, Husserl, dans un second moment de ce premier temps, définit de manière positive son champ d’observation en établissant son caractère certain (lignes 7 à 12).

               Husserl nous fait tout d’abord remarquer que toutes les possibilités de questionnements évoquées par lui ont un point commun : celui de se mouvoir « continuellement sur un terrain absolu ». Comme nous l’avons dit en introduction, Husserl dans cette seconde leçon reprend à son compte la démarche cartésienne, il s’agit pour lui d’interroger la connaissance humaine dans ce qu’elle a de certain, d’indubitable, il est donc important pour Husserl, comme cela l’était pour Descartes, d’évoluer en régime de certitude, voilà pourquoi il nous parle ici de terrain absolu : c’est un ensemble de données dont il n’est pas possible de douter. Husserl précise ici encore le cadre de son travail : « cette perception est et demeure, tant qu’elle dure » (ligne 8). Il précise ici un type de vécu en particulier puisqu’il s’agit d’une perception. La perception est un des actes de conscience possibles, il y a aussi le jugement, ou la sensation, par exemple, et dans tous les cas il ne s’agit pas de parler de ces actes de perception mais bien de tourner le regard vers la perception elle-même, vers les actes de conscience eux-mêmes : c’est la réflexion. Et c’est bien cette perception en tant que telle qui est acte de conscience, « un absolu, un ceci-là ».

                 Dans quel but Husserl veut-il utiliser la réflexion ? Et bien et regardant ce « ceci-là », cette « chose qui est en soi-même » ce qu’elle est, Husserl veut « mesurer comme sur une mesure ultime ce que être et être donné peut signifier et ici doit signifier, du moins naturellement pour le type d’être et de présence dont « ceci-là » est un exemple. » Par la réduction phénoménologique, en mettant entre parenthèse la sphère transcendante, l’objet visé, et en ne gardant que le moi pur, Husserl ne garde que le vécu, le « ceci-là » et par la réflexion établit les contours ce que qu’est ce vécu particulier. Il ne s’agit donc pas de savoir en général ce qu’est un vécu en général pour une conscience mais tout d’abord d’identifier les différents types de vécus pour ensuite pouvoir faire une description précise de ce que contient un type de vécu particulier au moment où il est vécu par la conscience d’un moi pur. Husserl nous décrit donc ici sa méthode de travail et nous indique qu’elle est valable « pour toutes les figures spécifiques de la pensée, où qu’elles soient données ». Il faut distinguer ici intuition et pensée : une intuition est une expérience directe comme la perception visuelle, tactile, auditive tandis que la pensée est liée à la logique, c’est un processus intellectuel. Husserl rappelle ainsi ce qu’il indiquait au début de cet extrait : pour lui un vécu peut être aussi bien intellectuel que physique : une perception intuitive est un vécu, une pensée est un vécu également. Il fait ainsi le lien avec la suite du texte.

               Dans un second temps de cet extrait, Husserl montre que les données peuvent également être issues de l’imagination (lignes 12 à 20). Il décrit tout d’abord ces données imaginées (lignes 12 à 15) puis il justifie sa définition de données issues de l’imagination (lignes 15 à 20).

                Husserl nous a montré comment un donné peut être défini par le vécu de la conscience à un instant t et cette première approche semble difficilement conciliable avec l’imagination, en fait le donné est donné au moment où la conscience vise un objet, comment cela serait-il possible avec l’imagination ? Husserl l’explique ainsi : les figures spécifiques de pensée « peuvent être « quasi » présentes devant les yeux, sans pourtant l’être comme présence actuelle » (lignes 13 et 14). L’imagination peut donc permettre à la conscience d’avoir un vécu proche de celui de la vision : au moment où la conscience vise un objet dans son imagination, la pensée peut donner à la conscience un vécu proche de celui donné par l’intuition.

                Et Husserl va même jusqu’à dire que ces figures spécifiques de pensée « sont, en un certain sens, des données : elles se trouvent là d’une manière intuitive ». L’imagination mime l’intuition pour la conscience : en imaginant le vécu de la conscience est sensoriel. Et Husserl décrit cela plus en détail en indiquant que lorsque nous imaginons des figures spécifiques de pensée « nous ne parlons pas d’elles simplement sous forme vague, sous forme d’une visée vide ». Rappelons-nous ici que le propos de Husserl concerne la conscience et que la conscience est toujours conscience de quelque chose, c’est donc une conscience qui vise un objet et bien Husserl nous dit ici que lorsque nous imaginons, notre conscience vise bien un objet. Et la preuve que notre conscience vise un objet précis quand nous imaginons est que nous pouvons voir ce que nous imaginons, saisir son essence, sa constitution, son caractère immanent et « ajuster notre discours, d’une manière parfaitement adéquate, à la plénitude de clarté qui s’offre à la vue. » (lignes 17 à 19). Lorsque nous imaginons une table, nous pouvons voir la table, même si elle n’est pas devant nous et nous saisissons qu’il s’agit d’une table et que cette donnée que nous saisissons est bien à l’intérieur de nous, nous pouvons parler de ce vécu aussi clairement que si la table était devant nous. Husserl démontre ainsi que ce qui nous est donné par un vécu issu de l’imagination est un donné pur, un terrain tout aussi stable que ce qui nous est donné par l’intuition.

                 Husserl, à la fin de cet extrait, pose le problème du « concept de l’essence et de la connaissance de l’essence ». L’essence d’un objet est ce dont il est constitué, le problème posé ici par Husserl et donc de définir précisément ce qu’est l’essence d’un objet et d’interroger le fait de savoir si la connaissance de cette essence nous est accessible ou non. Dans la quatrième leçon de L’idée de la phénoménologie, Husserl introduit un autre type de vue, en plus de la vue pure, la vision générique qui, par une nouvelle conversion du regard nous permet de viser le contenu générique de cette intuition qu’est la vision, c’est-à-dire l’essence de l’objet visé : lorsque je vois une table spécifique, je suis capable de faire le lien entre cette table spécifique et l’ensemble des objets ayant quatre pieds et une surface parallèle au sol, cet ensemble s’appel également table. En visant un objet spécifique la conscience a accès à l’objet et à l’essence de l’objet.

               Husserl dans cet extrait nous montre qu’un vécu est non seulement ce qui est donné à la conscience au moment où elle vise un objet qui est actuellement présent mais également lorsqu’elle vise un objet qui n’est présent que par l’imagination. Pour comprendre cet extrait nous avons fait appel aux concepts de réduction phénoménologique, de terrain absolu, de réflexion. Husserl par la phénoménologie souhaite décrire de manière très précise ce qui se passe à chaque instant de la vie d’un humain et qu’il fait sans y penser : sa relation au monde. Nous sommes en permanence en lien avec le monde et dans notre vie pratique qui utilise la pensée naturelle, nous ne remettons pas en question le fait que le monde nous est donné par notre intuition. Husserl ne remet pas en question cette pensée naturelle mais il souhaite mettre en évidence que cette connaissance du monde que nous ne questionnons pas peut se questionner et qu’elle implique un ensemble de processus que nous réalisons sans même en avoir conscience alors qu’ils sont très nombreux et difficiles à décrire de manière précise et compréhensible.