J’ai bientôt 50 ans et j’ai peur chaque jour. Peur d’avoir été une mauvaise mère pour mes enfants, d’avoir trop couvé ma fille, de l’avoir saoulé avec mes mots au point qu’elle n’aime pas parler, de lui avoir tout dit trop tôt au point qu’elle n’ai plus envie de rien, peur de lui avoir transmis mon insécurité au point qu’elle se sente obligée d’être différente quand elle est avec ses amis. Peur pour mon fils de ne pas en faire assez, de ne pas lui fournir tout ce dont il a besoin pour se développer correctement avec sa particularité, peur de ne pas être suffisamment présente pour lui, de ne pas jouer assez avec lui. Peur d’être trop sur mon ordinateur ou mon téléphone et de passer à côté de moments précieux avec mes enfants. Peur de ne pas faire assez d’activités avec eux le week-end.
J’ai aussi peur de passer à côté de ma vie, de n’avoir pas su rester avec un homme, de ne pas avoir su choisir une carrière professionnelle, de ne pas avoir su me faire des amis, de ne pas être à la hauteur des études que j’ai reprises. Bref, j’ai peur tout le temps, tous les jours, presque à chaque moment de la journée, j’ai cette boule dans la gorge qui me serre, rend ma respiration difficile, fait battre mon cœur rapidement, j’ai peur tout le temps. J’aimerais avoir un peu moins de doutes, j’aimerais être sûre d’au moins quelques trucs. Sûre que j’ai fait de mon mieux en tant que mère, sûre d’avoir vraiment essayé de me sentir bien dans chacune de mes relations amoureuses, sûre de faire de mon mieux pour ces études. Oui, ça me ferait vraiment du bien de me sentir légitime au moins dans quelques domaines de ma vie, peut-être pas tous, mais au moins un ou deux. J’essaie de faire fermer sa gueule à ce putain de petit tyran intérieur qui me dit en permanence que je ne suis pas assez : pas assez affectueuse, pas assez joueuse, pas assez intelligente, pas assez gentille, pas assez bosseuse, pas assez courageuse, pas assez volontaire, pas assez persévérante, pas assez, pas assez, pas assez…
Face à ça je lutte, je refuse ces critiques sans arrêt négatives, je refuse de me laisser enfermer dans cet éternel pas assez et ça me demande un gros effort. Je me force à me dire que mes enfants ont l’air plutôt bien dans leur vie : ma fille n’aime pas trop son corps et ne se trouve pas très intelligente mais elle se choisit des vêtements qu’elle aime ces derniers temps alors qu’avant elle s’en foutait de sa tenue pourvu qu’elle lui cache les fesses. Elle a beaucoup d’amis et elle est régulièrement invitée à des fêtes et elle va souvent retrouver ses amis aussi. Elle aime rire, elle est fière que ses amis la trouve drôle, elle aime dessiner et elle veut avoir son bac. Elle est contente de faire une fête chez ma mère pour Halloween. Elle aime manger, elle aime danser quand elle réussit quelque chose. Elle sait m’envoyer balader quand je l’embête. Je crois que malgré le fait qu’elle a un père menteur, manipulateur et colérique, elle s’en sort plutôt correctement en terme de confiance en elle. A un moment elle m’avait dit qu’elle voulait mourir mais qu’elle ne le faisait pas par manque de courage, je crois qu’aujourd’hui elle a plus envie de vivre, j’en ai l’impression en tout cas.
Pourtant je trouve qu’il est vraiment difficile d’avoir envie de vivre à notre époque, d’avoir de l’espoir dans un avenir meilleur. La pollution de la planète, de l’air, de l’eau, de la nourriture, le changement climatique, la sixième extinction de masse en cours, cette anthropocène dans laquelle nous sommes entrés ne présage vraiment rien de bon. C’est peut-être une chance pour elle de n’avoir aucun intérêt pour la politique, pour l’écologie, pour l’économie, au moins elle ne voit pas le désastre dans lequel nous vivons. Elle ne se rend pas compte de la stupidité de ce système dans lequel une construction humaine, l’argent passe avant les réalités physiques : la préservation de notre planète, du vivant dont nous faisons partie. C’est tellement triste de voir l’humain capable de tellement de prodiges et pourtant s’avancer sans freiner vers la catastrophe. Nous perdons notre temps à nous demander quel dieu est mieux, comment gagner plus d’argent, qui est étranger et qui ne l’est pas et pendant ce temps le vivant meurt de notre inconscience, les humains meurent de notre indifférence, mais qu’importe, tant qu’il y a la croissance!
Je voudrais m’en foutre moi aussi, je voudrais arriver à accepter qu’il est hors de mon pouvoir de changer les choses, je voudrais accepter que je ne sers à rien et ne me concentrer que sur ma vie, que sur ce que j’aime, ce que j’ai envie de faire et foncer là-dedans. Seulement voilà, je ne sais pas : c’est vrai comment choisir une seule chose parmi tout ce qu’il y a d’intéressant à faire dans la vie? J’aimerais être doctoresse pour aider des humains à être en bonne santé, j’aimerais être avocate pour aider des humains à lutter contre les injustices qui leur sont faites, j’aimerais être institutrice pour aider les enfant à se préparer à la vie d’adulte, j’aimerais être chanteuse pour aider les humains à oublier leurs soucis, oui, je voudrais vraiment aider. Cette envie d’aider, cette nécessité que je sens de vouloir être utile à quelque chose, ça me mine, ça me bouffe, ça m’angoisse. Je voudrais que quelqu’un me dise : toi tu es faite pour ça, alors vas-y, fonce! Et que cela me donne une certitude et me permette d’avancer en étant motivée dans une direction et de m’y tenir.
A plusieurs moments dans ma vie j’ai entendu des gens me dire que j’étais courageuse. Quand je travaillais comme cadre chez Hewlett Packard et que j’ai choisi de ne travailler que 4 jours par semaine, juste pour avoir du temps pour moi, on m’a dit que j’étais courageuse et je n’ai pas compris où était le courage là-dedans. Quand je suis partie en congés individuel de formation pour passer de cadre à praticienne en massage bien-être on m’a dit que j’étais courageuse, et là non plus, je n’ai pas compris. Quand je dis aux gens que je vis seule avec deux enfants de deux pères différents, on me dit que je suis courageuse aussi. Quand je dis qu’à 46 ans je suis retournée sur les bancs de la fac pour étudier la philosophie, on me dit que je suis courageuse. Mais je ne vois pas de courage dans tout ça, je vois simplement des tentatives désespérées de trouver du sens dans ma vie et pour l’instant je ne suis pas sûre d’y être arrivée.
J’aimerais avoir trouvé jeune le métier de mes rêves, j’aimerais être aujourd’hui reconnue dans ma profession et me sentir légitime, installée. J’aimerais être tombée amoureuse d’une personne avec laquelle j’aurais vieilli, grandi, fait des projets et avec laquelle je serai aujourd’hui complice, mais ma vie ça n’a pas été ça pour le moment. Ma vie ça a été des changements de direction professionnelle, des changements de relation amoureuse, des incertitudes, des heurs, des disputes, des doutes, des envies de tout recommencer. Aujourd’hui je suis seule, mais je n’en suis pas fière, je n’en ai pas honte non plus, je ne me sens pas coupable de mon célibat mais n’ayant pas beaucoup d’amis non plus, je me sens souvent seule et cela me pèse. J’aimerais avoir des amis qui m’appellent, qui me demandent comment je vais, des gens avec qui je pourrais échanger sur mes projets, mes envies. Mais je ne sais pas trop me dire à part à des psys. Je sais écouter les problèmes des autres, je sais leur donner mon retour à travers mon vécu, je sais être claire, parler sérieusement tout en glissant un peu d’humour pour alléger mon propos. Je ne sais pas être sûre de moi, j’ai toujours l’impression de prendre trop de place, de trop parler, de parler trop sérieusement. Je m’emballe dans des conversations politiques, économiques, sociales mais je n’apporte rien, je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes, dire des évidences et puis rien. Ma vie est un cliché bobo : un joli discours et aucune action concrète.
Bien sûr j’aide les gens que je croise et qui ont besoin d’aide : dans la rue, au ski, dans ma vie, je suis toujours à l’affût de pouvoir donner mon aide à n’importe quel individu. J’ai massé des gens pendant 12 ans sans jamais gagner d’argent avec cette activité, mais je n’en retire aucune fierté car j’ai la chance de ne pas avoir besoin de travailler. Je suis bienveillante et profondément respectueuse de chaque personne que je rencontre mais ça ne m’apporte pas grand chose car finalement je reste en dehors de tout groupe social. Les bourgeois de ma famille me voient comme une traitre à ma classe, mes amis me voient comme une sorte d’OVNI à la fois sympa et insupportable, et je n’ai plus de collègue de travail parce que j’ai 30 ans de plus que les étudiants qui sont sur les bancs de la fac avec moi et que les professeurs ont un statut qui me laisse très à l’écart d’eux. Donc voilà, je suis là, à presque 50 ans à faire de mon mieux pour éviter de me laisser emporter par mes addictions. Je peux regarder des séries américaines pendant des jours sans m’arrêter, mais je n’en regarde plus une seule depuis plusieurs semaines. Je peux sortir et passer toute la nuit à boire des bières et fumer des joints mais ça m’amène à trouver hyper intéressants des gens qui sans alcool et sans joints n’ont rien en commun avec moi. J’ai une personnalité apparemment facilement sujette aux addictions et j’ai décidé d’arrêter d’éviter de sentir ma souffrance et m’abrutissant, alors je souffre, sans m’abrutir et ça fait mal.
J’espère que je vais réussir à avancer malgré tout. Peut-être que je ne vais pas faire un mémoire de master fantastique, c’est vrai, certainement que ces quelque dizaines de pages ne serviront à rien, à part à me valider mes études, mais c’est déjà pas mal. Peut-être que choisir de traiter du sujet de l’inégalité chez Jean-Jacques Rousseau n’était pas la meilleure idée que j’ai eu, mais après tout, si je change d’idée tous les deux mois, je n’arriverai jamais à produire un travail construit au bout des deux ans et c’est quand même ça l’objectif : arriver à avoir mon diplôme. Oui les autres étudiants ont l’air d’avoir des sujets qui sont bien plus intéressants que le mien, ils ont l’air bien plus capables que moi de faire de la philosophie, de réfléchir de manière construite et intelligente et bien tant pis, c’est comme ça : j’aimerais être au-dessus du lot, mais je ne le suis pas du tout, je suis juste une étudiante moyenne et il faut que je l’accepte. J’ai les larmes aux yeux en l’écrivant : c’est dur pour moi d’accepter que je n’ai rien d’exceptionnel mais il faut que je me fasse une raison. Oui je me sens différente, oui j’ai eu une vie bizarre, étrange par rapport à tous les gens que je connais, mais ça n’est pas parce que je ne fais rien comme tout le monde que je vais réussir à faire quoi que ce soit d’exceptionnel, au sens où je l’entends, c’est-à-dire quelque chose qui change un peu en mieux la destinée de l’humanité. Oui j’aurais aimé être importante, apporter quelque chose au monde qui le rende un peu meilleur, ça m’aurait rassurée sur mon utilité, j’aurais pu plus facilement me dire : « c’est bon, tu as reçu beaucoup de biens matériels à la naissance, tu as reçu une bonne santé, un physique dans les normes hautes des critères esthétiques de ton temps et tu as fait quelque chose de tout ça, regarde, tu as apporté ça au monde, tu as rendu à la hauteur de ce qui t’as été donné. » Mais non, en fait il semble qu’il faille que je me fasse à l’idée que j’ai reçu beaucoup et que je n’ai pas grand chose à donner en retour. C’est comme ça, je n’ai rien d’exceptionnel même si je ne rentre dans aucune case.
Peut-être aussi que j’ai du mal à accepter qu’avec toutes ces facilités que j’ai reçu, j’ai aussi vécu beaucoup de souffrances, de maltraitances, d’agressions et au lieu de regarder tous ces maux, de voir comme ils m’ont handicapée et m’handicapent encore, je refuse de les voir, d’y penser et ainsi je ne vois pas mon handicap et je ne peux pas l’intégrer.
Je m’appelle Céline, j’ai bientôt 50 ans et j’ai subi de nombreuses agressions. Des agressions sexuelles précises au sens où elles sont clairement identifiables, des viols. Un a 15 ans, un à 25 ans. Et puis des agressions sexuelles moins claires, au sens où il n’y a pas un mot précis qui permet tout de suite de voir de quoi il s’agit. J’ai été accostée dans la rue, dans des bars, par des gens qui pensaient qu’il était normal de me parler comme si j’étais un bout de viande sur lequel ils avaient une sorte de droit. J’ai été traitée comme un objet sexuel par des gens qui pensaient que comme j’acceptais de coucher avec eux alors ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec mon corps, sans vérifier si j’étais d’accord. J’ai été harcelée par des gens qui pensaient que parce qu’ils avaient envie de moi alors il fallait que j’ai envie d’eux et qui voulaient me faire changer d’avis si moi je ne voulais pas. J’ai été séquestrée par une personne qui pensait que parce qu’on couchait ensemble alors je n’avais pas le droit de la quitter et qui m’a hurlé dessus pendant des heures avant de me laisser sortir de son appartement. Oui j’ai subi beaucoup d’agressions. Et ça a commencé petite, au collège quand j’ai invité un garçon à passer le week-end chez moi, qu’il est entré dans ma chambre le matin, a violemment retiré la couette qui couvrait mon corps et a vu mon pubis que ma chemise de nuit ne couvrait pas à ce moment-là. Il a ensuite raconté à la classe le lundi matin ce qu’il avait vu et j’ai été moquée parce que mon pubis n’avait pas de poils… étrange d’ailleurs de se moquer d’un pubis prépubère dans un monde où justement il est demandé aux personnes qui ont une vulve de la rendre glabre pour qu’elle soit désirable. Parce que j’étais plutôt du genre garçon manqué, que je trainais beaucoup avec des garçons, alors on m’a largué pour une autre en me disant « sans rancune, hein, on reste pote? » comme si je ne comptais pour rien, que je ne ressentais rien. On m’a quittée aussi une autre fois en me disant que vivre une relation avec moi n’étais pas possible, que j’étais trop rationnelle, pas assez de magie dans ma vie, que c’était d’une autre dont on était amoureux. Une autre fois encore je suis partie parce que la femme qu’il devait quitté est arrivée chez moi et m’a insultée, m’a menacée, m’a frappée alors que soit disant elle était formatée à la patte de son mari depuis toutes ses années. Oui, ma vie ça n’est vraiment pas un conte de fée…
Pourtant ça m’aurait plu à moi d’avoir un homme qui me voit comme la plus précieuse, la plus merveilleuse, la plus enivrante de toutes ses rencontres. J’aurais aimé être la princesse d’un seul qui m’aime pour qui je suis et pas pour qui il aimerait que je sois. J’aurais adoré soutenir quelqu’un dans ses projets et me sentir soutenue dans les miens. Grandir et progresser ensemble. Regarder vers l’avenir en s’imaginant la joie de vieillir ensemble. Mais non, moi ce que j’ai vécu c’est majoritairement des histoires intenses et courtes du type : je t’aime, tu es l’homme de ma vie, je veux rester avec toi toujours, puis j’apprends à te connaitre, je vois que tu n’écoutes pas, que tu n’entends pas ce que je te dis, je vois que qui je suis ne te plait pas, soit parce que je te fais peur, soit parce que je ne te rassure pas assez, soit parce que j’aime trop la logique, le rationnel, soit parce que je veux parler et que ça t’agace… Alors je m’en vais, on ne se parle plus pendant quelques mois, quelques années, et puis on devient potes. Voilà, je suis celle avec laquelle on couche et puis qu’on prend comme pote ensuite parce qu’elle nous a largué. Alors je passe pour la femme forte, solitaire, casse-couille forcément, super plan cul mais caractère de merde. Pourtant je ne me vois pas du tout comme ça. Je me sens sincère, authentique, je me sens curieuse et fidèle, je me sens attentionnée et libre, intéressante, sensible et forte à la fois. Naïve aussi, certainement.
Il faut que je le sois, naïve, pour encore me retrouver à tomber follement amoureuse à mon âge, pour m’emballer et me dire à nouveau ‘lui c’est le bon’ alors que tout indique le contraire, et pourtant, ça m’est encore arrivée, il n’y a pas si longtemps, et c’est déjà terminé. Malgré ma tristesse, malgré mon angoisse permanente, ma rage de vivre m’oblige à voir ce que j’ai gagné dans cette courte relation d’été. Je me suis sentie aimée, vraiment, pendant les deux premiers mois je me suis sentie appartenir à quelqu’un et j’ai aimé cette sensation. Il était marié et m’avait dit qu’il n’y avait plus rien entre lui et sa femme depuis plus d’un an, qu’il allait la quitter, quel cliché, n’est-ce pas? Les premiers temps, je le voyais tous les jours et tous les jours je me sentais aimée, respectée, écoutée et j’ai aimé ça. Malheureusement ça n’a pas duré, il n’a pas quitté sa femme et on a fini par ne plus pouvoir se voir car elle a découvert notre relation et le surveillait tout le temps et ça n’était pas possible pour moi : je ne peux pas être la maitresse cachée, ça ne va pas du tout avec l’importance que j’ai envie d’avoir dans la vie de quelqu’un. Si tu n’es pas disponible pour moi alors tant pis, je m’en vais. Pourtant je pense encore à toi tous les jours, je ne sais pas où tu es, je n’ai plus aucune nouvelle de toi, mais tu es toujours dans mes pensées, mon corps a encore envie du tien et je repense avec nostalgie à nos longues soirées de rires, de discussions, d’amour. Je sais que tu n’es pas bon pour moi, que tu fumes, que tu bois, que tu as des idées étriquées et rétrogrades, pourtant je t’ai aimé profondément et je crois bien que je t’aime encore. Je me rassure en me disant que ma vie est bien plus simple sans toi, que je n’ai pas à me battre sans cesse contre ton racisme, ton homophobie, ton ignorance des faits scientifiques, mais ton regard me manque, ce regard sérieux et puissant que tu posais sur moi et grâce auquel je me sentais puissante, importante, invincible. Oui, pendant un temps, toi le prolo ignorant et obtus tu m’as fait me sentir belle, importante, aimée, grâce à toi j’ai appris comment je voulais être aimée, quelle importance j’avais envie qu’on m’accorde et malgré toute la souffrance, la peur, l’inquiétude que notre relation m’a amenée par la suite, je ne regrette rien. C’est beau ce que nous avons vécu ensemble, ça m’a fait beaucoup de bien avant de me faire beaucoup de mal.
Et alors, maintenant quoi? Et bien toujours pareil, continuer à vivre malgré la peur, continuer d’étudier malgré la difficulté, continuer la sobriété malgré la souffrance, continuer l’espoir malgré les déceptions, quel autre choix? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour vivre dans le flou de la drogue et l’irréel des séries? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’avoir aucun but? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’envisager que la souffrance sans possibilité de mieux? Aucun intérêt, autant me tirer une balle dans la tête tout de suite : mes enfants sauront très bien s’en sortir sans moi, je n’en ai aucun doute, ils souffriront, bien sûr, mais ça ne les empêchera pas de continuer à vivre. Alors ça n’est pas pour eux que je ne prends pas la porte de sortie, parce qu’il faut être honnête : on ne fait jamais rien pour les autres, nous sommes tous profondément, viscéralement et irrémédiablement égoïstes. Non, si je reste, c’est pour moi, c’est parce que malgré la peur j’aime vivre, j’aime voir la couleur du ciel au coucher du soleil, le contraste sur les montagnes après la pluie, sentir sur ma peau la chaleur du soleil ou la caresse d’une main amie. J’aime aussi ma souffrance puisqu’elle me dit que je suis encore en vie. J’aime cette rage que je sens en moi qui se révolte de manière aussi stupide et naïve qu’une Miss France à la moindre injustice, là aussi, elle me dit que je suis encore en vie et dans la vie. Alors oui ça m’emmerde de n’avoir rien d’exceptionnel, oui je suis triste de ne pas servir à améliorer l’humanité, oui ça me fait bien chier d’être une parmi des milliards et rien d’autre mais je ne veux pas me laisser anéantir par cette déception. Je continue, j’essaie ce truc : avoir mon master de philo, passer mon capes, enseigner la philo. Si j’y arrive, c’est bien. Si non, et bien j’ai un plan B : même si je n’ai pas mon master, je peux passer le concours pour être prof dans le primaire et ma licence de philo me servira aussi dans cette option. Et puis il y a aussi le plan C : continuer à écrire, peut-être m’essayer à des trucs un peu moins inintéressants que raconter ma vie, parce qu’à vrai dire, tout le monde s’en fout de ce qui peut bien m’arriver au quotidien, ça n’apporte rien à personne! Certes ça m’aide, ça me fait du bien de vomir mon mal-être sur le papier, mais ça n’est quand même pas très folichon en terme d’utilité publique (toujours cette putain d’utilité…) alors peut-être que le plan C ça pourrait être écrire… mais quoi? Et puis putain je vis à une époque où le moindre couillon de base pense qu’il peut être intéressant, il y a des dizaines, des centaines de bouquins récents dans la moindre micro librairie de quartier, qu’est-ce que moi je pourrais bien avoir à dire de plus? Je ne sais pas… et là aussi, je crois que mon envie d’être utile va devoir sérieusement réduire son champ d’action : au lieu d’être utile au monde, si déjà je m’étais utile à moi-même ça serait pas mal! Peut-être que je pourrais simplement publier un bouquin pour le simple plaisir, terrifiant et excitant à la fois, d’avoir quelqu’un qui lise ce que j’écris, peut-être que ça me serait juste utile à moi, à me sentir un peu reconnue par le peu de personnes que mes propos pourraient intéresser… Ouais, je sais, c’est pas gagner!
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