par spiralexphilo | 4 Jan 2022 | Prose
Dimanche 30 juillet 2000, appartement à Paris, collocation 2 mecs, une nana.
Une soirée entre potes se transforme en expérience… la première fois avec une femme…
Je sens toujours la fatigue, ce week-end ne m’a pas reposée. Il m’a en revanche fait vivre une expérience des plus intéressantes : l’amour entre femmes. Je ne pensais vraiment pas que j’aurais si rapidement l’occasion et l’envie, réunis, de faire l’amour avec mon amie… En fait, ça ne change rien. Je crois que j’ai pu le faire justement parce que je sais maintenant que je ne suis pas homosexuelle.
J’écris devant les autres. Ils me demandent ce que j’écris, pourquoi j’écris, veulent lire, me disent que ce n’est pas courant, ou que ceux qu’ils voient faire habituellement leur semble fous… Et moi j’ose peu parler. Je ne suis pas sûre de moi, je bafouille, je deviens agressive, je m’emporte… Peu importe, je continue… peut-être est-ce de l’exhibitionnisme, mais je m’en fous. Et puis j’aime écouter la conversation autour de moi en même temps, j’ai l’impression d’être invisible, ça me plaît.
Lundi 31 juillet 2000, gare de Lyon.
Je ne suis pas homo et j’ai donc vécu cette expérience pleinement : avec curiosité, avidité et sans gêne. La copine avec laquelle j’ai fait cette expérience m’avait dit que je pouvais, si je le souhaitais, avoir un rapport sexuel avec elle sans aller plus loin. J’avais peur qu’elle se sente utilisée, comme un objet. Je n’étais pas très chaude à cette idée, mais finalement, ça c’est très bien passé.
Le seul problème c’est que maintenant mon amie tient encore plus à moi qu’avant. J’ai peur qu’elle ne se fasse du mal : moi je sais que je ne tomberai pas amoureuse d’elle, je ne peux pas, j’aime trop les hommes et j’ai envie d’avoir des enfants, de fonder une famille. Je voulais voir ce que c’est, j’ai vu. Ça m’a plu d’ailleurs. Je pense que l’homosexualité peut permettre d’atteindre des sommets de plaisir physique : personne ne connait aussi bien un corps de femme que la femme elle-même, pareil pour l’homme.
Pourtant l’excitation n’est pas la même, en tout cas pour moi : un corps d’homme me fait vibrer, me donne envie d’être dans ses bras, de caresser sa peau, de sentir son sexe dans le mien. Un corps de femme me donne envie de regarder, d’apprécier l’esthétique et la plastique, de comparer, éventuellement de la voir nue, mais pas d’être dans ses bras.
par spiralexphilo | 4 Jan 2022 | Prose
Appartement à Paris, collocation 2 mecs une nana. Avortement choisi colère enceinte.
Play station. Réveil. Téléphone. Bricohe Nutella. Jus d’orange. Pétard. Play Station : j’ai le record du plus mauvais temps et de la plus belle cascade. Les rues de San Francisco, poursuivie par une cohorte de véhicules de police furieux, une petite voiture grise tente de leur échapper. Tant qu’on n’est pas resté 20 secondes sur le ring, on rejoue. J’ai réussi une fois un joli 38 secondes puis j’ai « ruiné la caisse », comme me le signifie gentiment l’écran de télévision. 7 secondes 16 centièmes : temps minimum à battre…
Comment élever un enfant? Quel est le bon équilibre entre donner des limites et limiter? Aimer et étouffer? Comment préparer un être humain à la vie, l’amour, la mort, la nourriture, la joie, la peur, … Trop penser, tu penses trop, tu te prends la tête. Regarde qui tu es! Tu aimes toucher, écouter, parler et câliner les gens que tu aimes, pourquoi ne ferais-tu pas la même chose avec ton bébé? Pour rien, aucune raison valable, simplement l’appréhension : est-ce que je saurais faire?
Une fois j’ai eu un chien. J’étais étudiante et le petit caniche nain ne comprenait pas mon langage, je me suis énervée, une fois, trop, à me faire peur… Une fois, en rentrant chez moi, il avait tout saccagé. En partant, je lui avais laissé la liberté de vaquer dans tout l’appartement. Je le laissais d’habitude enfermé dans la petite cuisine, sans fenêtre… Forcément, un moment de liberté, il en a profité! J’avais un grand bureau, deux tréteaux avec une planche noire. Dessus traînaient divers objets : feuilles, stylos, lunettes de vue, paquet de Nesquick, …
Tous ont eu la chance de voir d’extrêmement près les petites dents pointues, énergiques, du caniche nain : Pluto. Cet enfoiré était monté sur la chaise d’où il avait sauté sur le bureau. Je l’ai maudit. Je lui ai hurlé dessus et, finalement, je l’ai balancé contre un mur après lui avoir filé 4 ou 5 claques monstrueuses. J’ai eu peur. Il a fait un « kay!!! » suraigu et s’est remis sur ses pattes. Ce chien m’a mis, non, je me suis mises dans des rages folles contre Pluto, une vraie furie. Puis nous nous sommes séparés avec l’homme qui m’avait offert ce chien. Il a voulu reprendre tout ce qu’il m’avait offert et a failli l’oublier… le chien… je me suis permise de le lui rappeler…
Avortement choisi colère enceinte. Drôle d’association d’idées, n’est-ce pas? Pourtant c’est celui qui m’a offert le chien qui m’a aussi mise enceinte pour le première fois, juste avant de partir en stage en Espagne, à Barcelone. Nous avons fait l’amour dans les escaliers. Je ne me rappelle pas de tous mes rapports sexuels avec lui, mais celui-là, je m’en souviens… Passion et amour se mêlèrent dans cette étreinte que j’aurais du refuser : je savais que j’avais merdé dans la prise de la petite pilule journalière, celle qui autorise l’amour physique sans reproduction, la contraceptive… Je ne crois pas avoir joui car, à l’époque, j’ignorais ce que c’était, mais j’ai eu du plaisir, une sensation agréable avec ce pieu qui me pénétrait. Ça ne m’arrivait pas souvent que l’amour soit « agréable ».
Départ en Espagne, retard dans les menstruations… stage, dans l’entreprise de mon oncle, une petite filiale, des bureaux… Puis, après quelques semaines, je ressens soudain une douleur et je devais me plier en deux pour éviter d’avoir trop mal. Puis la douleur est partie… et est revenue, plus forte encore.
A l’hôpital de Barcelone il m’ont fait des analyses et la femme médecin, après avoir reçu les résultats, m’a demandé si je savais que j’étais enceinte… Grosse claque dans la gueule, puis retour à la réalité : appelle à mon copain du moment, à ma mère. Mon copain arrive à Barcelone, on fait l’amour chez la femme chez qui j’habitais et son fils se pointe et nous prend en flag… quand c’est la merde, c’est la merde : enceinte et grillé par le fils de celle qui m’héberge, tout va bien! Retour en France, ma mère ne me dit rien, on ne discute de rien, elle s’occupe de tout et bientôt je ne suis plus enceinte. Avortement choisi colère enceinte.
Avortement médical pour cause de grossesse extra-utérine, d’où la douleur, je crois, c’était il y a longtemps… J’avais 18 ans, avortement en tout cas… Pas la version pilule à la maison, la version hôpital, anesthésie générale, aspiration, réveil… la totale. Quand je pense que des abrutis s’imagine qu’une femme peut utiliser l’avortement par « confort », putain mais quel rigolade! C’est dur, ça fait mal au moral et ça perturbe durablement ce truc. Alors oui, c’est chouette que ça existe, mais ça n’est certainement pas facile.
par spiralexphilo | 4 Jan 2022 | Prose
Vendredi 28 juillet 2000, TGV Paris
Je suis fatiguée, cette journée a été dure, forte en émotions, je n’aime pas ce bruit de fond de cet enfant qui parle, je voudrais du calme, du silence. Mais je suis dans un train. Normal qu’il ne se passe pas uniquement ce dont j’ai envie.
De quoi ai-je envie? De me livrer sur mon présent. A force de raconter mon passé, je finis par oublier ma vie actuelle, oublier de voir qu’il me faut faire un choix : changer de travail. Mais est-ce vraiment le problème ce « travail »?
J’ai l’impression d’attirer et d’être attirée par trop de personnes différentes. Les années passent, les hommes avec, et chaque fois la douleur est plus forte. Chaque fois l’espoir était plus grand, chaque fois le cœur saigne un peu plus. J’ai besoin d’amour.
J’ai besoin de l’amour qui grandit, qui fait battre les cœurs un peu plus à chaque rencontre, à chaque découverte. Celui dont on ne se sépare plus car il est partagé. Un amour profond sincère, ni ravageur, ni esclavagiste. Ce sentiment merveilleux qui transforme les yeux aimés en refuge, en âtre bienfaitrice. Je rêve encore et toujours de perfection dans le sentiment amoureux.
Je suis seule dans le wagon, le TGV de 19h35 m’emmène vers la capitale, vers Claire et loin de Stéphane, encore un autre homme dans ma vie. L, L et F : les trois premiers. Maintenant que j’essaie de me rappeler les prénoms de tous, je vois que j’ai du mal : ces garçons avec lesquels j’ai flirté de 12 à 18 ans, je ne me les rappelle pas tous.
Le première fois que j’ai taillé une pipe à un mec, j’avais 15 ans. J’étais en 3ème, au collège, et j’étais dans une soirée… chez JC… Pendant quelques mois il avait été mon meilleur ami, nous passions de longs moments ensemble, à la récré ou à midi. Nous nous entendions bien. Puis, ce samedi-là, je suis passée chez lui et nous nous sommes embrassés. Je ne me rappelle pas de la sensation que m’a procuré sa langue dans ma bouche, mais je me rappelle que nous sommes allés dans la chambre de ses parents, un grand lit blanc. J’avais mes règles et la séance de tripotage manuel a vite pris fin lorsque je lui ai dit : « je ne mettrais pas ma main là, à ta place, si je n’avais pas envie de la voir ressortir toute rouge ». Le message était bien passé, le jeune homme s’est allongé sur moi et a commencé à bouger, à remuer, bref à se masturber avec mon corps.
J’étais passive, inerte, je regardais cet enchevêtrement de corps de dessus et je méprisais l’adolescent qui s’agitait sur moi : je me demandais comment il pouvait se mettre dans des états pareils, je trouvais cela ridicule, je me trouvais plus forte que lui. Plus tard, je suis partie.
Le soir même il me semble, soirée chez lui. Je le vois au cours de la soirée avec une autre fille, enlacés. J’ai mal et je m’assois. Sur ces entrefaites arrive l’étudiant vétérinaire, le cousin d’un des lascars de ma classe. On discute. Il doit partir. Il me dit : « tu sais, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder tes jambes ». Je lui réponds je ne sais quoi, mais je sais que je me suis sentie flattée : j’étais en jupe, même à l’époque, ça n’était pas si fréquent, j’étais contente que quelqu’un le remarque.
Il part, il me demande s’il doit revenir, ma réponse lui fait penser que cela me ferait plaisir, c’était vrai. Il est revenu et, je ne sais trop comment, nous nous sommes retrouvés dans les toilettes. Première porte, petit couloir, seconde porte.
D’abord, je me suis assise sur la cuvette, il était en face de moi. Il m’a enlevé mes collants, ma culotte, a mis sa tête entre mes cuisses et m’a fait jouir. J’étais contente : les garçons de mon âge prenaient rarement la peine de s’occuper de mon plaisir. Ensuite, debout devant moi, avec son sexe dépassant de sa braguette, il a pris ma main et ma demandé si j’avais déjà fait ça. Non, jamais.
Pendant qu’il me caressait, il avait été très doux avec moi, avec ses doigts et sa bouche, il avait réussi à me mettre suffisamment à l’aise pour que j’arrive à l’orgasme. J’étais sous le charme. Après la peur du moment où j’avais pris ses doigts pour son sexe qui me pénétrait, il m’avait tout de suite rassurée, il avait une vois douce. Il me faisait du bien.
Avec ma main, je commençais à le masturber, doucement, sensuellement, je voulais que cela soit agréable pour lui, même si je ne me sentais pas très à l’aise. Puis avec ses mains il a approché ma tête et ma bouche a rencontré son gland. Il me disait que mes mains étaient magiques, il me disait : « Oh! c’est tellement bon! » et moi je continuais. A un moment, la première porte, qui aurait du être fermée à clé, s’est ouverte : un « copain » de classe voit le spectacle. Il est mis dehors immédiatement, mais pas assez vite pour ne pas me reconnaître. La porte se ferme.
Une fois l’orgasme passé. Il me demande encore une fois si j’avais fait ça avant, il semblait impressionné par ma « technique », persuadé que j’avais de « l’expérience »… je ne l’ai jamais revu.
Lundi matin, au collège, le « copain » a accouru vers moi depuis l’autre bout de la cours et m’a mis une claque magistrale en me traitant de pute. Je suis restée tout le reste de la récré dans les chiottes. Je pleurais et pleurais et pleurais… de honte, de douleur, de fierté blessée. Mais il a bien fallu retourner en classe, devant tout le monde.
J’étais déléguée de classe en 3ème. Mon prof principal était celui de français, ma prof de physique… une fille pas aidée… Lors des classes en petits groupes, une quinzaine d’élèves, c’était toujours le boxon, systématiquement : discussions dans tous les coins et moi comme les autres, pas plus, pas moins. Régulièrement, elle collait une heure de colle à l’un ou l’autre des bavards, mais il fallait en général deux ou trois heures de colles « notées » pour être gratifié d’une véritable heure concrète, seule dans une pièce, avec un pion et parfois un autre compagnon de galère.
Un jour, ce fut moi la bavarde de trop. Je rejoins la longue liste des punis virtuels.
Un peu plus tard, le conseil de classe. Moi, toujours aussi diplomatique, mentionne, lors de cette réunion, devant tous les profs, le fait que les cours de physique ne se déroulent pas vraiment en tout sérénité. Conséquence? Mon heure de colle virtuelle se transforme en sanction immédiate : madame a estimé que puisque je n’étais pas indulgente avec elle et ses cours, elle n’avait pas à l’être avec moi. Je suis allée voir mon prof principal, je lui ai dit que je démissionnais : à quoi me sers d’être déléguée de classe si je ne peux pas dire la vérité sur les cours? Il m’a expliqué que, parfois, les choses ne sont pas toujours simples, en gros, qu’il faut savoir ouvrir sa gueule gentiment et que, même si on a raison, il me restait à apprendre la forme. Il m’a convaincue, je suis restée.
par spiralexphilo | 13 Nov 2021 | Prose
C’est dur de vous aimer, malgré tout ce que vous pensez… J’aime les gens, je les trouve beaux, intelligents. Vous vous méfiez de tout le monde, sauf de ceux qui vous ressemblent. Je suis convaincue de la force de l’État, de son pouvoir décideur, protecteur. Vous voulez le laissez faire, évoquez le mérite, le ruissellement, des mythes. Je trouve qu’il est juste et logique de payer selon la taille de son pécule, je suis choquée par l’évasion fiscale, ne comprends pas comment l’optimisation fiscale peut être légale, et vous le pratiquer, trouvez cela normal. Je base la majorité de mes croyances sur la science, car c’est, à ma connaissance, ce qui se rapproche le plus de la vérité, j’écoute, je m’informe, j’apprends du consensus scientifique, quelque soit le domaine : histoire, sociologie, psychologie, économie, physique, biologie, neurologie, virologie, climat, et cætera. Vous vivez sans sourciller sous le règne de l’opinion, ce que vous croyez, sans le questionner, vous en chercher la validation chez des pseudo-journalistes qui ne véhiculent que leur point de vue au détriment de la recherche de la vérité.
Vous pensez que vous avez réussi seuls, sans personne pour vous aider, sans voir l’école, le pays dans lequel vous vivez, l’éducation de vos parents, le confort dans lequel vous viviez comme des privilèges, des aides fondamentales et exceptionnelles. Vous pensez que les personnes sans emplois sont majoritairement des fainéants qui ne font aucun effort pour travailler. Vous pouvez dire, sans que vos propres mots ne vous rendent malades, que ceux qui estiment ne pas gagner assez d’argent n’ont qu’à prendre deux emplois sans réaliser une seconde que c’est le cas pour beaucoup de personnes très mal payer, d’une part, que le corps humain à ses limites, d’autre part et sans, enfin, vous rendre compte de ce que cela veut dire de gagner moins de 1700€ par mois, ce qui est le cas de la moitié des personnes recevant un salaire dans notre pays. La quantité d’argent dont vous disposez vous permet d’acheter tout ce que vous voulez, le nécessaire à pris d’or, le superflus et plus encore, sans jamais compter, sans jamais vous limiter et vous penser que cela vous le devez à votre travail uniquement, à aucun moment vous ne voyez d’injustice dans tout cela : le fait que vos salariés gagnaient dix fois moins que vous ne vous choque pas car pour vous ‘le risque’ c’est d’investir dans une société. Le fait de porter des charges lourdes, de travailler 35h par semaine pour à peine 1000€, le stress qui en découle du fait qu’il est presque impossible de payer ses charges fixes et de manger sans finir le mois dans le rouge ne vous effleure même pas. Cela vous choque si je vous dis que perdre de l’argent n’est pas un risque puisqu’à aucun moment votre corps, votre santé n’est mis en danger, cela vous choque si je vous dis que celui ou celle qui travaille pour très peu d’argent est physiquement, matériellement, réellement en danger mais pas celui qui investi de l’argent.
Pour vous je suis une extrémiste de l’ultra-gauche parce que j’estime qu’il est révoltant, choquant, immonde qu’il soit permis à des individus ou des entités privées de posséder des milliards, que ce genre de montant ne devrait être légal qu’entre les mains d’un État et au bénéfice du commun. Cela vous fait peur, vous vous sentez menacer personnellement alors que vous êtes loin, vraiment très loin de boxer dans cette catégorie bien qu’elle vous fasse, apparemment, tellement envie! Vous croyez encore à la théorie du ruissellement, ce mythe démenti scientifiquement, factuellement depuis des dizaines d’années qui voudrait qu’en laissant les plus riches accumuler sans restriction ils vont, par leur consommation, faire ruisseler leur argent vers les moins riches : ça ne marche pas comme ça! La réalité c’est que nous avons collectivement laissé des multinationales, des individus s’enrichir au-delà de tout ce qui est imaginable pour 99% d’entre nous et que les inégalités de richesse de sont creusées : les pauvres sont un peu moins pauvres qu’avant mais les riches sont tellement plus riches que l’écart entre eux s’est énormément creusé. Le ruissellement est un mythe, et vous y croyez encore, alors vous accumulez et vous dépensez, sans compter, en vous pensant ainsi bons citoyens, vous croyez accomplir votre devoir, réaliser la mission qui vous a été confiée.
Et bien sûr, pour vous conforter dans votre croyance, il faut que les écologistes soient tous des cons, des emmerdeurs, des tarés qui nous emmerdent pour rien avec leur théorie fumeuse de réchauffement climatique, de perte de biodiversité, de pollution, de diminution des matières premières disponibles : il faut produire, vendre, s’enrichir et continuer comme ça, sans réfléchir, ou alors juste réfléchir à comment faire pour continuer de produire, vendre, s’enrichir. Pourquoi? Parce que le capitalisme à sorti les gens de la misère, parce que c’est l’argent qui permet aux gens d’être heureux et que plus l’économie croit, mieux c’est et vive le PIB! Sauf qu’une fois de plus, la science vient démonter vos croyances mais vous ne l’écoutez pas : oui dans un pays où l’éducation, la nourriture et la pauvreté sont le lot quotidien, la croissance économique permet d’améliorer le confort de chacun mais une fois que plus ou moins tout le monde à un toit, de quoi manger, l’accès à l’école, à l’eau potable alors la croissance du PIB n’amène plus rien, voir même elle plombe la population. Autrement dit atteindre un minimum de PIB pour que la population soit logée, nourrie, qu’elle ait un tout-à-l’égout, accès à un système de santé, à l’instruction, oui, mais après continuer de croitre en PIB ne fait qu’engraisser les plus riches et stresser, emmerder, enfoncer les autres.
Si vraiment il suffisait d’avoir une croissance permanente du PIB pour être bien en tant que peuple, la France faisant partie des premières puissances mondiales serait un paradis sur terre, c’est loin d’être le cas! Non pas parce que les français sont des râleurs mais parce que concrètement, matériellement, physiquement la majorité des français ont un travail qu’ils n’ont pas choisi (quand ils en ont un), qu’ils doivent à tout prix garder ce travail car ils sont obligés, pour survivre, de payer pour leur logement, pour assurer leur logement, de payer pour leur nourriture, pour l’eau potable, pour la gestion de leurs ordures, pour le chauffage de leur logement, pour l’éclairage de leur logement, pour leurs vêtements, pour leurs déplacements… Bref, chaque pas qu’ils font dans la vie est payant et le travail qu’ils ont leur permet à peine de couvrir tous les frais que la vie dans cette société moderne, contemporaine leur impose. Et en plus, comme ce développement économique s’est fait sans aucune réflexion maintenant il faut avoir une voiture mais il faut culpabiliser d’avoir une voiture, il faut s’acheter à manger mais il faut culpabiliser d’acheter des produits emballés qui créent des tonnes de déchets, il faut avoir un logement mais n’avoir aucun choix quant au loyer payé pour se loger, etc… Et vous, qui avez le choix, qui baigner dans le confort, le luxe, qui jamais n’avez besoin de compter, vous pensez être privilégiés parce que vous le méritez, parce que vous avez fait ce qu’il faut pour en arriver là. Mais s’il suffisait de travailler beaucoup pour vivre confortablement, alors les infirmières qui travaillent bien plus que 35h par semaine seraient milliardaires, s’il suffisait d’avoir du mérite pour être reconnu alors les éboueurs grâce auxquels nous vivons dans un monde où nous pouvons ignorer nos déchets alors que nous en produisons des tonnes, seraient les rois du monde et recevraient notre éternelle gratitude. Si avoir deux boulots permettait d’être financièrement confortable alors les personnes qui font le ménage dans plusieurs sociétés de nettoyage gagneraient suffisamment bien leur vie pour pouvoir s’acheter ce qu’elles veulent, sans réfléchir. Mais ça n’est pas comme cela que le monde est, vous le savez et pourtant vous restez dans vos croyances, pourquoi?
Je crois que vous êtes terrifiés à l’idée que tout ce sur quoi repose votre système de pensée soit faux, irrationnel, irréel, alors vous m’en voulez, oui, vous m’en voulez terriblement de vouloir vous ouvrir les yeux. Vous me traitez moi d’incohérente : ben oui, me dites-vous, si vraiment tu étais cohérente avec tes idées d’extrême gauche, alors du donnerais tout l’argent que tu as à des pauvres et comme ça tu serais comme eux, et là tu pourrais vraiment parler, parce que c’est facile de parler de la misère des autres quand on n’a pas à aller à l’usine. C’est vrai, grâce à l’argent que vous m’avez donné, j’ai la chance d’avoir pu travailler pendant 12 ans dans la société que j’avais créé, sans jamais me payer, sans jamais gagner d’argent avec cette société, sans en perdre trop non plus sinon je n’aurais pas tenu 12 ans mais oui, c’est vrai, je suis une privilégiée. Sauf que j’ai choisi d’utiliser ce privilège pour passer du temps avec mes enfants et travailler juste un peu pour me sentir utile, sans me mettre la pression pour gagner de l’argent. Cela m’a permis de travailler à faire du bien aux autres, pendant 12 ans, sans jamais me préoccuper d’en profiter financièrement : j’ai eu le plaisir de faire plaisir, pendant 12 ans, de recevoir des remerciements sincères, chaleureux, reconnaissants, sans jamais avoir à me demander comment j’allais nourrir mes enfants et oui, c’est une grande chance, je vous en suis reconnaissante. Seulement la façon dont je me sers de cette chance, je ne l’ai pas apprise de vous, car si je vous avais écouté, je serais restée cadre dans une multinationale et j’aurais cherché à toujours gagner plus, malgré ce que j’avais déjà.
Aujourd’hui j’ai vendu ma société et je suis retournée sur les bancs de la fac, j’étudie et peut-être, si j’arrive à réussir le concours, peut-être arriverai-je à enseigner et je vous confirmerai alors dans votre croyance que je suis une traitre à ma classe : non seulement je suis de gauche, alors que je devrais défendre les privilèges de la bourgeoisie et donc voter à droite, mais en plus je veux enseigner, faire partie de ce corps que vous mépriser car, selon vous, ils se plaignent tout le temps alors que ce sont des privilégiés. Mais oui! Gagner 2000€ au bout de 15 ans de carrière quel privilège! Se faire cracher dessus par des parents mécontents des notes de leur rejetons, quel privilège! N’avoir aucun soutien de sa hiérarchie ni de personne d’ailleurs, mais comme c’est bandant! Alors pourquoi aller vers ce calvaire me direz-vous? Parce si vraiment les enseignants sont tous des cons, que sommes-nous, nous parents, qui laissons nos enfants entre leur mains pendant que nous partons faire autre chose? Des criminels, des irresponsables, des indifférents au sort de nos enfants? Non, nous voulons le meilleur pour eux et une partie de ce meilleur consiste à leur donner de l’instruction et c’est pour cela que nous les mettons à l’école, pour ceux d’entre nous qui ont le choix en tout cas. Parce que soyons honnêtes : lorsque chaque mois il faut lutter pour finir le mois, l’école n’est pas un choix, c’est une nécessité, il faut un endroit où laisser les enfants en sécurité pendant que les adultes vont travailler pour pouvoir les nourrir, les habiller, les loger. Combien de parents sont dans ce cas? Une grande majorité je crois.
Et je crois aussi qu’il n’y a rien de plus beau que de forger des esprits en construction, leur apprendre à réfléchir par eux-mêmes (si toutefois l’école a encore cette ambition) les armer pour qu’ils puissent être bombardés à longueur de journée par des images, des mots et qu’ils puissent se dire : « attend une seconde, qu’est-ce que ça veut dire ce mot-là, dans cette bouche-là, à ce moment-là? » Pour qu’ils se questionnent, qu’ils remettent en question, et qu’ils avancent non pas sans se poser de question mais au contraire en ayant la volonté de progresser. Progresser réellement, c’est-à-dire pas se demander comment gagner le plus d’argent possible, car contrairement à ce qu’à dit un jour Emmanuel Macron, il n’y a pas de pire ambition dans la vie que vouloir devenir milliardaire : quelle tristesse, quelle manque d’ambition, quelle étroitesse d’esprit, quelle vide de pensée, quelle manque de valeur morale, quelle futilité que de penser qu’accumuler de manière aussi dégoutante autant de richesse matérielle puisse apporter quoi que ce soit à un être humain normalement constitué. Ce qui motive l’humain ça n’est pas la richesse matérielle mais bien la richesse morale, intellectuelle, affective : nous avons envie de nous sentir bien dans nos corps, bien dans notre tête, nous avons envie d’être aimer et d’aimer, d’être reconnus pour le bien que faisons autour de nous et rejeter le mal que nous répandons, nous avons besoin d’être acceptés tels que nous sommes et de nous accepter nous-mêmes avec nos faiblesses et nos qualités, c’est ça qui nous motive, c’est ça qui nous fait avancer! Gagner de l’argent n’est pas un but en soi puisque l’argent en soi ne sert à rien, il permet de se procurer des choses utiles, mais il n’est pas utile en lui-même. Et c’est choses que l’argent nous permet d’acheter, une fois que nous avons assez pour nous loger, nous nourrir, étancher notre soif et pouvoir nous payer un peu de loisirs, quel intérêt d’en accumuler plus? Aucun si ce n’est combler un autre manque que nous ne voyons peut-être pas : un manque affectif, un manque de confiance en soi, un manque de reconnaissance, un manque de sécurité psychique, mais en tout cas ça ne vient pas du tout comme une nécessité. Alors peut-être faudrait-il que tous les milliardaires et tous les dirigeants de multinationales hyper puissantes se fassent soigner, psychologiquement soigner car vraiment il n’y a aucune logique d’utilité, de nécessité dans cette accumulation obscène!
Et vous dans tout cela? Vous ma famille, vous qui êtes très très très loin de ces malades, de ces criminels, de ces irresponsables mais qui avez les mêmes idées, les mêmes désirs, les mêmes croyances mortifères qu’eux, je vous aime, malgré tout. J’ai honte de vos modes de vie, de cette façon dont vous dépensez toujours plus sans réfléchir aux conséquences de vos actes pour l’environnement notamment, mais je vous aime quand même. J’ai honte de vos idées intolérantes, racistes, parfois homophobes, anti-féministes, mais je vous aime quand même. Vous me blessez, vous me faites mal à me critiquer, à m’insulter même puisque vous n’hésitez pas à me traiter de conne à cause de mon mode de vie, de mes idées, mais je vous aime quand même. Je suis en colère contre votre ignorance, votre bêtise, vos affirmations sans fondement, mais je vous aime quand même. Je suis frustrée par mon incapacité à vous faire changer d’avis, à vous ouvrir les yeux, à vous influencer ne serait-ce qu’un peu, mais je vous aime quand même. Malgré tous vos défauts, malgré vos croyances foireuses, vos comportements néfastes, votre intolérance, je vous aime quand même. Vous m’avez appris la valeur du travail, même si m’avez toujours traitée de flemmarde. Vous m’avez appris à être honnêtes, même si aujourd’hui je découvre que vous être loin de l’être toujours. Vous m’avez élevée dans le confort et la sécurité matérielle, même si j’ai du payer le pris fort pour ce confort : n’être jamais assez bien, assez féminine, assez de votre côté, assez de droite, assez comme vous et n’être jamais valorisée, être du coup, parmi vous, toujours la paria, la bizarre, qu’on accepte mais qu’on voudrait bien changer. Je vous aime quand même, malgré le rejet, malgré la souffrance, malgré l’incompréhension, malgré le manque de tendresse, malgré tout, je vous aime quand même… et c’est dur, et j’en chie, et je redoute les repas de famille comme le noir craint le contrôle de police mais je vous aime quand même! Et aussi étonnant que cela puisse paraître, je sais que vous m’aimez aussi, car malgré mes idées, malgré nos disputes (nombreuses), malgré nos coups de gueule, nos prises de tête, nos bagarres vous m’appelez, vous me demandez de mes nouvelles et nous nous voyons toujours, une fois par mois, une fois par an, ça dépend mais nous nous voyons toujours et pour cela je trouve que nous méritons de nous féliciter mutuellement : je me félicite d’arriver, après toutes ces années, à vous aimer encore et je vous félicite, après toutes des années, d’arriver à m’aimer encore, bravo à nous et bisous!
par spiralexphilo | 31 Oct 2021 | Prose
J’ai bientôt 50 ans et j’ai peur chaque jour. Peur d’avoir été une mauvaise mère pour mes enfants, d’avoir trop couvé ma fille, de l’avoir saoulé avec mes mots au point qu’elle n’aime pas parler, de lui avoir tout dit trop tôt au point qu’elle n’ai plus envie de rien, peur de lui avoir transmis mon insécurité au point qu’elle se sente obligée d’être différente quand elle est avec ses amis. Peur pour mon fils de ne pas en faire assez, de ne pas lui fournir tout ce dont il a besoin pour se développer correctement avec sa particularité, peur de ne pas être suffisamment présente pour lui, de ne pas jouer assez avec lui. Peur d’être trop sur mon ordinateur ou mon téléphone et de passer à côté de moments précieux avec mes enfants. Peur de ne pas faire assez d’activités avec eux le week-end.
J’ai aussi peur de passer à côté de ma vie, de n’avoir pas su rester avec un homme, de ne pas avoir su choisir une carrière professionnelle, de ne pas avoir su me faire des amis, de ne pas être à la hauteur des études que j’ai reprises. Bref, j’ai peur tout le temps, tous les jours, presque à chaque moment de la journée, j’ai cette boule dans la gorge qui me serre, rend ma respiration difficile, fait battre mon cœur rapidement, j’ai peur tout le temps. J’aimerais avoir un peu moins de doutes, j’aimerais être sûre d’au moins quelques trucs. Sûre que j’ai fait de mon mieux en tant que mère, sûre d’avoir vraiment essayé de me sentir bien dans chacune de mes relations amoureuses, sûre de faire de mon mieux pour ces études. Oui, ça me ferait vraiment du bien de me sentir légitime au moins dans quelques domaines de ma vie, peut-être pas tous, mais au moins un ou deux. J’essaie de faire fermer sa gueule à ce putain de petit tyran intérieur qui me dit en permanence que je ne suis pas assez : pas assez affectueuse, pas assez joueuse, pas assez intelligente, pas assez gentille, pas assez bosseuse, pas assez courageuse, pas assez volontaire, pas assez persévérante, pas assez, pas assez, pas assez…
Face à ça je lutte, je refuse ces critiques sans arrêt négatives, je refuse de me laisser enfermer dans cet éternel pas assez et ça me demande un gros effort. Je me force à me dire que mes enfants ont l’air plutôt bien dans leur vie : ma fille n’aime pas trop son corps et ne se trouve pas très intelligente mais elle se choisit des vêtements qu’elle aime ces derniers temps alors qu’avant elle s’en foutait de sa tenue pourvu qu’elle lui cache les fesses. Elle a beaucoup d’amis et elle est régulièrement invitée à des fêtes et elle va souvent retrouver ses amis aussi. Elle aime rire, elle est fière que ses amis la trouve drôle, elle aime dessiner et elle veut avoir son bac. Elle est contente de faire une fête chez ma mère pour Halloween. Elle aime manger, elle aime danser quand elle réussit quelque chose. Elle sait m’envoyer balader quand je l’embête. Je crois que malgré le fait qu’elle a un père menteur, manipulateur et colérique, elle s’en sort plutôt correctement en terme de confiance en elle. A un moment elle m’avait dit qu’elle voulait mourir mais qu’elle ne le faisait pas par manque de courage, je crois qu’aujourd’hui elle a plus envie de vivre, j’en ai l’impression en tout cas.
Pourtant je trouve qu’il est vraiment difficile d’avoir envie de vivre à notre époque, d’avoir de l’espoir dans un avenir meilleur. La pollution de la planète, de l’air, de l’eau, de la nourriture, le changement climatique, la sixième extinction de masse en cours, cette anthropocène dans laquelle nous sommes entrés ne présage vraiment rien de bon. C’est peut-être une chance pour elle de n’avoir aucun intérêt pour la politique, pour l’écologie, pour l’économie, au moins elle ne voit pas le désastre dans lequel nous vivons. Elle ne se rend pas compte de la stupidité de ce système dans lequel une construction humaine, l’argent passe avant les réalités physiques : la préservation de notre planète, du vivant dont nous faisons partie. C’est tellement triste de voir l’humain capable de tellement de prodiges et pourtant s’avancer sans freiner vers la catastrophe. Nous perdons notre temps à nous demander quel dieu est mieux, comment gagner plus d’argent, qui est étranger et qui ne l’est pas et pendant ce temps le vivant meurt de notre inconscience, les humains meurent de notre indifférence, mais qu’importe, tant qu’il y a la croissance!
Je voudrais m’en foutre moi aussi, je voudrais arriver à accepter qu’il est hors de mon pouvoir de changer les choses, je voudrais accepter que je ne sers à rien et ne me concentrer que sur ma vie, que sur ce que j’aime, ce que j’ai envie de faire et foncer là-dedans. Seulement voilà, je ne sais pas : c’est vrai comment choisir une seule chose parmi tout ce qu’il y a d’intéressant à faire dans la vie? J’aimerais être doctoresse pour aider des humains à être en bonne santé, j’aimerais être avocate pour aider des humains à lutter contre les injustices qui leur sont faites, j’aimerais être institutrice pour aider les enfant à se préparer à la vie d’adulte, j’aimerais être chanteuse pour aider les humains à oublier leurs soucis, oui, je voudrais vraiment aider. Cette envie d’aider, cette nécessité que je sens de vouloir être utile à quelque chose, ça me mine, ça me bouffe, ça m’angoisse. Je voudrais que quelqu’un me dise : toi tu es faite pour ça, alors vas-y, fonce! Et que cela me donne une certitude et me permette d’avancer en étant motivée dans une direction et de m’y tenir.
A plusieurs moments dans ma vie j’ai entendu des gens me dire que j’étais courageuse. Quand je travaillais comme cadre chez Hewlett Packard et que j’ai choisi de ne travailler que 4 jours par semaine, juste pour avoir du temps pour moi, on m’a dit que j’étais courageuse et je n’ai pas compris où était le courage là-dedans. Quand je suis partie en congés individuel de formation pour passer de cadre à praticienne en massage bien-être on m’a dit que j’étais courageuse, et là non plus, je n’ai pas compris. Quand je dis aux gens que je vis seule avec deux enfants de deux pères différents, on me dit que je suis courageuse aussi. Quand je dis qu’à 46 ans je suis retournée sur les bancs de la fac pour étudier la philosophie, on me dit que je suis courageuse. Mais je ne vois pas de courage dans tout ça, je vois simplement des tentatives désespérées de trouver du sens dans ma vie et pour l’instant je ne suis pas sûre d’y être arrivée.
J’aimerais avoir trouvé jeune le métier de mes rêves, j’aimerais être aujourd’hui reconnue dans ma profession et me sentir légitime, installée. J’aimerais être tombée amoureuse d’une personne avec laquelle j’aurais vieilli, grandi, fait des projets et avec laquelle je serai aujourd’hui complice, mais ma vie ça n’a pas été ça pour le moment. Ma vie ça a été des changements de direction professionnelle, des changements de relation amoureuse, des incertitudes, des heurs, des disputes, des doutes, des envies de tout recommencer. Aujourd’hui je suis seule, mais je n’en suis pas fière, je n’en ai pas honte non plus, je ne me sens pas coupable de mon célibat mais n’ayant pas beaucoup d’amis non plus, je me sens souvent seule et cela me pèse. J’aimerais avoir des amis qui m’appellent, qui me demandent comment je vais, des gens avec qui je pourrais échanger sur mes projets, mes envies. Mais je ne sais pas trop me dire à part à des psys. Je sais écouter les problèmes des autres, je sais leur donner mon retour à travers mon vécu, je sais être claire, parler sérieusement tout en glissant un peu d’humour pour alléger mon propos. Je ne sais pas être sûre de moi, j’ai toujours l’impression de prendre trop de place, de trop parler, de parler trop sérieusement. Je m’emballe dans des conversations politiques, économiques, sociales mais je n’apporte rien, je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes, dire des évidences et puis rien. Ma vie est un cliché bobo : un joli discours et aucune action concrète.
Bien sûr j’aide les gens que je croise et qui ont besoin d’aide : dans la rue, au ski, dans ma vie, je suis toujours à l’affût de pouvoir donner mon aide à n’importe quel individu. J’ai massé des gens pendant 12 ans sans jamais gagner d’argent avec cette activité, mais je n’en retire aucune fierté car j’ai la chance de ne pas avoir besoin de travailler. Je suis bienveillante et profondément respectueuse de chaque personne que je rencontre mais ça ne m’apporte pas grand chose car finalement je reste en dehors de tout groupe social. Les bourgeois de ma famille me voient comme une traitre à ma classe, mes amis me voient comme une sorte d’OVNI à la fois sympa et insupportable, et je n’ai plus de collègue de travail parce que j’ai 30 ans de plus que les étudiants qui sont sur les bancs de la fac avec moi et que les professeurs ont un statut qui me laisse très à l’écart d’eux. Donc voilà, je suis là, à presque 50 ans à faire de mon mieux pour éviter de me laisser emporter par mes addictions. Je peux regarder des séries américaines pendant des jours sans m’arrêter, mais je n’en regarde plus une seule depuis plusieurs semaines. Je peux sortir et passer toute la nuit à boire des bières et fumer des joints mais ça m’amène à trouver hyper intéressants des gens qui sans alcool et sans joints n’ont rien en commun avec moi. J’ai une personnalité apparemment facilement sujette aux addictions et j’ai décidé d’arrêter d’éviter de sentir ma souffrance et m’abrutissant, alors je souffre, sans m’abrutir et ça fait mal.
J’espère que je vais réussir à avancer malgré tout. Peut-être que je ne vais pas faire un mémoire de master fantastique, c’est vrai, certainement que ces quelque dizaines de pages ne serviront à rien, à part à me valider mes études, mais c’est déjà pas mal. Peut-être que choisir de traiter du sujet de l’inégalité chez Jean-Jacques Rousseau n’était pas la meilleure idée que j’ai eu, mais après tout, si je change d’idée tous les deux mois, je n’arriverai jamais à produire un travail construit au bout des deux ans et c’est quand même ça l’objectif : arriver à avoir mon diplôme. Oui les autres étudiants ont l’air d’avoir des sujets qui sont bien plus intéressants que le mien, ils ont l’air bien plus capables que moi de faire de la philosophie, de réfléchir de manière construite et intelligente et bien tant pis, c’est comme ça : j’aimerais être au-dessus du lot, mais je ne le suis pas du tout, je suis juste une étudiante moyenne et il faut que je l’accepte. J’ai les larmes aux yeux en l’écrivant : c’est dur pour moi d’accepter que je n’ai rien d’exceptionnel mais il faut que je me fasse une raison. Oui je me sens différente, oui j’ai eu une vie bizarre, étrange par rapport à tous les gens que je connais, mais ça n’est pas parce que je ne fais rien comme tout le monde que je vais réussir à faire quoi que ce soit d’exceptionnel, au sens où je l’entends, c’est-à-dire quelque chose qui change un peu en mieux la destinée de l’humanité. Oui j’aurais aimé être importante, apporter quelque chose au monde qui le rende un peu meilleur, ça m’aurait rassurée sur mon utilité, j’aurais pu plus facilement me dire : « c’est bon, tu as reçu beaucoup de biens matériels à la naissance, tu as reçu une bonne santé, un physique dans les normes hautes des critères esthétiques de ton temps et tu as fait quelque chose de tout ça, regarde, tu as apporté ça au monde, tu as rendu à la hauteur de ce qui t’as été donné. » Mais non, en fait il semble qu’il faille que je me fasse à l’idée que j’ai reçu beaucoup et que je n’ai pas grand chose à donner en retour. C’est comme ça, je n’ai rien d’exceptionnel même si je ne rentre dans aucune case.
Peut-être aussi que j’ai du mal à accepter qu’avec toutes ces facilités que j’ai reçu, j’ai aussi vécu beaucoup de souffrances, de maltraitances, d’agressions et au lieu de regarder tous ces maux, de voir comme ils m’ont handicapée et m’handicapent encore, je refuse de les voir, d’y penser et ainsi je ne vois pas mon handicap et je ne peux pas l’intégrer.
Je m’appelle Céline, j’ai bientôt 50 ans et j’ai subi de nombreuses agressions. Des agressions sexuelles précises au sens où elles sont clairement identifiables, des viols. Un a 15 ans, un à 25 ans. Et puis des agressions sexuelles moins claires, au sens où il n’y a pas un mot précis qui permet tout de suite de voir de quoi il s’agit. J’ai été accostée dans la rue, dans des bars, par des gens qui pensaient qu’il était normal de me parler comme si j’étais un bout de viande sur lequel ils avaient une sorte de droit. J’ai été traitée comme un objet sexuel par des gens qui pensaient que comme j’acceptais de coucher avec eux alors ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec mon corps, sans vérifier si j’étais d’accord. J’ai été harcelée par des gens qui pensaient que parce qu’ils avaient envie de moi alors il fallait que j’ai envie d’eux et qui voulaient me faire changer d’avis si moi je ne voulais pas. J’ai été séquestrée par une personne qui pensait que parce qu’on couchait ensemble alors je n’avais pas le droit de la quitter et qui m’a hurlé dessus pendant des heures avant de me laisser sortir de son appartement. Oui j’ai subi beaucoup d’agressions. Et ça a commencé petite, au collège quand j’ai invité un garçon à passer le week-end chez moi, qu’il est entré dans ma chambre le matin, a violemment retiré la couette qui couvrait mon corps et a vu mon pubis que ma chemise de nuit ne couvrait pas à ce moment-là. Il a ensuite raconté à la classe le lundi matin ce qu’il avait vu et j’ai été moquée parce que mon pubis n’avait pas de poils… étrange d’ailleurs de se moquer d’un pubis prépubère dans un monde où justement il est demandé aux personnes qui ont une vulve de la rendre glabre pour qu’elle soit désirable. Parce que j’étais plutôt du genre garçon manqué, que je trainais beaucoup avec des garçons, alors on m’a largué pour une autre en me disant « sans rancune, hein, on reste pote? » comme si je ne comptais pour rien, que je ne ressentais rien. On m’a quittée aussi une autre fois en me disant que vivre une relation avec moi n’étais pas possible, que j’étais trop rationnelle, pas assez de magie dans ma vie, que c’était d’une autre dont on était amoureux. Une autre fois encore je suis partie parce que la femme qu’il devait quitté est arrivée chez moi et m’a insultée, m’a menacée, m’a frappée alors que soit disant elle était formatée à la patte de son mari depuis toutes ses années. Oui, ma vie ça n’est vraiment pas un conte de fée…
Pourtant ça m’aurait plu à moi d’avoir un homme qui me voit comme la plus précieuse, la plus merveilleuse, la plus enivrante de toutes ses rencontres. J’aurais aimé être la princesse d’un seul qui m’aime pour qui je suis et pas pour qui il aimerait que je sois. J’aurais adoré soutenir quelqu’un dans ses projets et me sentir soutenue dans les miens. Grandir et progresser ensemble. Regarder vers l’avenir en s’imaginant la joie de vieillir ensemble. Mais non, moi ce que j’ai vécu c’est majoritairement des histoires intenses et courtes du type : je t’aime, tu es l’homme de ma vie, je veux rester avec toi toujours, puis j’apprends à te connaitre, je vois que tu n’écoutes pas, que tu n’entends pas ce que je te dis, je vois que qui je suis ne te plait pas, soit parce que je te fais peur, soit parce que je ne te rassure pas assez, soit parce que j’aime trop la logique, le rationnel, soit parce que je veux parler et que ça t’agace… Alors je m’en vais, on ne se parle plus pendant quelques mois, quelques années, et puis on devient potes. Voilà, je suis celle avec laquelle on couche et puis qu’on prend comme pote ensuite parce qu’elle nous a largué. Alors je passe pour la femme forte, solitaire, casse-couille forcément, super plan cul mais caractère de merde. Pourtant je ne me vois pas du tout comme ça. Je me sens sincère, authentique, je me sens curieuse et fidèle, je me sens attentionnée et libre, intéressante, sensible et forte à la fois. Naïve aussi, certainement.
Il faut que je le sois, naïve, pour encore me retrouver à tomber follement amoureuse à mon âge, pour m’emballer et me dire à nouveau ‘lui c’est le bon’ alors que tout indique le contraire, et pourtant, ça m’est encore arrivée, il n’y a pas si longtemps, et c’est déjà terminé. Malgré ma tristesse, malgré mon angoisse permanente, ma rage de vivre m’oblige à voir ce que j’ai gagné dans cette courte relation d’été. Je me suis sentie aimée, vraiment, pendant les deux premiers mois je me suis sentie appartenir à quelqu’un et j’ai aimé cette sensation. Il était marié et m’avait dit qu’il n’y avait plus rien entre lui et sa femme depuis plus d’un an, qu’il allait la quitter, quel cliché, n’est-ce pas? Les premiers temps, je le voyais tous les jours et tous les jours je me sentais aimée, respectée, écoutée et j’ai aimé ça. Malheureusement ça n’a pas duré, il n’a pas quitté sa femme et on a fini par ne plus pouvoir se voir car elle a découvert notre relation et le surveillait tout le temps et ça n’était pas possible pour moi : je ne peux pas être la maitresse cachée, ça ne va pas du tout avec l’importance que j’ai envie d’avoir dans la vie de quelqu’un. Si tu n’es pas disponible pour moi alors tant pis, je m’en vais. Pourtant je pense encore à toi tous les jours, je ne sais pas où tu es, je n’ai plus aucune nouvelle de toi, mais tu es toujours dans mes pensées, mon corps a encore envie du tien et je repense avec nostalgie à nos longues soirées de rires, de discussions, d’amour. Je sais que tu n’es pas bon pour moi, que tu fumes, que tu bois, que tu as des idées étriquées et rétrogrades, pourtant je t’ai aimé profondément et je crois bien que je t’aime encore. Je me rassure en me disant que ma vie est bien plus simple sans toi, que je n’ai pas à me battre sans cesse contre ton racisme, ton homophobie, ton ignorance des faits scientifiques, mais ton regard me manque, ce regard sérieux et puissant que tu posais sur moi et grâce auquel je me sentais puissante, importante, invincible. Oui, pendant un temps, toi le prolo ignorant et obtus tu m’as fait me sentir belle, importante, aimée, grâce à toi j’ai appris comment je voulais être aimée, quelle importance j’avais envie qu’on m’accorde et malgré toute la souffrance, la peur, l’inquiétude que notre relation m’a amenée par la suite, je ne regrette rien. C’est beau ce que nous avons vécu ensemble, ça m’a fait beaucoup de bien avant de me faire beaucoup de mal.
Et alors, maintenant quoi? Et bien toujours pareil, continuer à vivre malgré la peur, continuer d’étudier malgré la difficulté, continuer la sobriété malgré la souffrance, continuer l’espoir malgré les déceptions, quel autre choix? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour vivre dans le flou de la drogue et l’irréel des séries? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’avoir aucun but? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’envisager que la souffrance sans possibilité de mieux? Aucun intérêt, autant me tirer une balle dans la tête tout de suite : mes enfants sauront très bien s’en sortir sans moi, je n’en ai aucun doute, ils souffriront, bien sûr, mais ça ne les empêchera pas de continuer à vivre. Alors ça n’est pas pour eux que je ne prends pas la porte de sortie, parce qu’il faut être honnête : on ne fait jamais rien pour les autres, nous sommes tous profondément, viscéralement et irrémédiablement égoïstes. Non, si je reste, c’est pour moi, c’est parce que malgré la peur j’aime vivre, j’aime voir la couleur du ciel au coucher du soleil, le contraste sur les montagnes après la pluie, sentir sur ma peau la chaleur du soleil ou la caresse d’une main amie. J’aime aussi ma souffrance puisqu’elle me dit que je suis encore en vie. J’aime cette rage que je sens en moi qui se révolte de manière aussi stupide et naïve qu’une Miss France à la moindre injustice, là aussi, elle me dit que je suis encore en vie et dans la vie. Alors oui ça m’emmerde de n’avoir rien d’exceptionnel, oui je suis triste de ne pas servir à améliorer l’humanité, oui ça me fait bien chier d’être une parmi des milliards et rien d’autre mais je ne veux pas me laisser anéantir par cette déception. Je continue, j’essaie ce truc : avoir mon master de philo, passer mon capes, enseigner la philo. Si j’y arrive, c’est bien. Si non, et bien j’ai un plan B : même si je n’ai pas mon master, je peux passer le concours pour être prof dans le primaire et ma licence de philo me servira aussi dans cette option. Et puis il y a aussi le plan C : continuer à écrire, peut-être m’essayer à des trucs un peu moins inintéressants que raconter ma vie, parce qu’à vrai dire, tout le monde s’en fout de ce qui peut bien m’arriver au quotidien, ça n’apporte rien à personne! Certes ça m’aide, ça me fait du bien de vomir mon mal-être sur le papier, mais ça n’est quand même pas très folichon en terme d’utilité publique (toujours cette putain d’utilité…) alors peut-être que le plan C ça pourrait être écrire… mais quoi? Et puis putain je vis à une époque où le moindre couillon de base pense qu’il peut être intéressant, il y a des dizaines, des centaines de bouquins récents dans la moindre micro librairie de quartier, qu’est-ce que moi je pourrais bien avoir à dire de plus? Je ne sais pas… et là aussi, je crois que mon envie d’être utile va devoir sérieusement réduire son champ d’action : au lieu d’être utile au monde, si déjà je m’étais utile à moi-même ça serait pas mal! Peut-être que je pourrais simplement publier un bouquin pour le simple plaisir, terrifiant et excitant à la fois, d’avoir quelqu’un qui lise ce que j’écris, peut-être que ça me serait juste utile à moi, à me sentir un peu reconnue par le peu de personnes que mes propos pourraient intéresser… Ouais, je sais, c’est pas gagner!
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