Peurs d’Halloween

Peurs d’Halloween

J’ai bientôt 50 ans et j’ai peur chaque jour. Peur d’avoir été une mauvaise mère pour mes enfants, d’avoir trop couvé ma fille, de l’avoir saoulé avec mes mots au point qu’elle n’aime pas parler, de lui avoir tout dit trop tôt au point qu’elle n’ai plus envie de rien, peur de lui avoir transmis mon insécurité au point qu’elle se sente obligée d’être différente quand elle est avec ses amis. Peur pour mon fils de ne pas en faire assez, de ne pas lui fournir tout ce dont il a besoin pour se développer correctement avec sa particularité, peur de ne pas être suffisamment présente pour lui, de ne pas jouer assez avec lui. Peur d’être trop sur mon ordinateur ou mon téléphone et de passer à côté de moments précieux avec mes enfants. Peur de ne pas faire assez d’activités avec eux le week-end.

J’ai aussi peur de passer à côté de ma vie, de n’avoir pas su rester avec un homme, de ne pas avoir su choisir une carrière professionnelle, de ne pas avoir su me faire des amis, de ne pas être à la hauteur des études que j’ai reprises. Bref, j’ai peur tout le temps, tous les jours, presque à chaque moment de la journée, j’ai cette boule dans la gorge qui me serre, rend ma respiration difficile, fait battre mon cœur rapidement, j’ai peur tout le temps. J’aimerais avoir un peu moins de doutes, j’aimerais être sûre d’au moins quelques trucs. Sûre que j’ai fait de mon mieux en tant que mère, sûre d’avoir vraiment essayé de me sentir bien dans chacune de mes relations amoureuses, sûre de faire de mon mieux pour ces études. Oui, ça me ferait vraiment du bien de me sentir légitime au moins dans quelques domaines de ma vie, peut-être pas tous, mais au moins un ou deux. J’essaie de faire fermer sa gueule à ce putain de petit tyran intérieur qui me dit en permanence que je ne suis pas assez : pas assez affectueuse, pas assez joueuse, pas assez intelligente, pas assez gentille, pas assez bosseuse, pas assez courageuse, pas assez volontaire, pas assez persévérante, pas assez, pas assez, pas assez…

Face à ça je lutte, je refuse ces critiques sans arrêt négatives, je refuse de me laisser enfermer dans cet éternel pas assez et ça me demande un gros effort. Je me force à me dire que mes enfants ont l’air plutôt bien dans leur vie : ma fille n’aime pas trop son corps et ne se trouve pas très intelligente mais elle se choisit des vêtements qu’elle aime ces derniers temps alors qu’avant elle s’en foutait de sa tenue pourvu qu’elle lui cache les fesses. Elle a beaucoup d’amis et elle est régulièrement invitée à des fêtes et elle va souvent retrouver ses amis aussi. Elle aime rire, elle est fière que ses amis la trouve drôle, elle aime dessiner et elle veut avoir son bac. Elle est contente de faire une fête chez ma mère pour Halloween. Elle aime manger, elle aime danser quand elle réussit quelque chose. Elle sait m’envoyer balader quand je l’embête. Je crois que malgré le fait qu’elle a un père menteur, manipulateur et colérique, elle s’en sort plutôt correctement en terme de confiance en elle. A un moment elle m’avait dit qu’elle voulait mourir mais qu’elle ne le faisait pas par manque de courage, je crois qu’aujourd’hui elle a plus envie de vivre, j’en ai l’impression en tout cas.

Pourtant je trouve qu’il est vraiment difficile d’avoir envie de vivre à notre époque, d’avoir de l’espoir dans un avenir meilleur. La pollution de la planète, de l’air, de l’eau, de la nourriture, le changement climatique, la sixième extinction de masse en cours, cette anthropocène dans laquelle nous sommes entrés ne présage vraiment rien de bon. C’est peut-être une chance pour elle de n’avoir aucun intérêt pour la politique, pour l’écologie, pour l’économie, au moins elle ne voit pas le désastre dans lequel nous vivons. Elle ne se rend pas compte de la stupidité de ce système dans lequel une construction humaine, l’argent passe avant les réalités physiques : la préservation de notre planète, du vivant dont nous faisons partie. C’est tellement triste de voir l’humain capable de tellement de prodiges et pourtant s’avancer sans freiner vers la catastrophe. Nous perdons notre temps à nous demander quel dieu est mieux, comment gagner plus d’argent, qui est étranger et qui ne l’est pas et pendant ce temps le vivant meurt de notre inconscience, les humains meurent de notre indifférence, mais qu’importe, tant qu’il y a la croissance!

Je voudrais m’en foutre moi aussi, je voudrais arriver à accepter qu’il est hors de mon pouvoir de changer les choses, je voudrais accepter que je ne sers à rien et ne me concentrer que sur ma vie, que sur ce que j’aime, ce que j’ai envie de faire et foncer là-dedans. Seulement voilà, je ne sais pas : c’est vrai comment choisir une seule chose parmi tout ce qu’il y a d’intéressant à faire dans la vie? J’aimerais être doctoresse pour aider des humains à être en bonne santé, j’aimerais être avocate pour aider des humains à lutter contre les injustices qui leur sont faites, j’aimerais être institutrice pour aider les enfant à se préparer à la vie d’adulte, j’aimerais être chanteuse pour aider les humains à oublier leurs soucis, oui, je voudrais vraiment aider. Cette envie d’aider, cette nécessité que je sens de vouloir être utile à quelque chose, ça me mine, ça me bouffe, ça m’angoisse. Je voudrais que quelqu’un me dise : toi tu es faite pour ça, alors vas-y, fonce! Et que cela me donne une certitude et me permette d’avancer en étant motivée dans une direction et de m’y tenir.

A plusieurs moments dans ma vie j’ai entendu des gens me dire que j’étais courageuse. Quand je travaillais comme cadre chez Hewlett Packard et que j’ai choisi de ne travailler que 4 jours par semaine, juste pour avoir du temps pour moi, on m’a dit que j’étais courageuse et je n’ai pas compris où était le courage là-dedans. Quand je suis partie en congés individuel de formation pour passer de cadre à praticienne en massage bien-être on m’a dit que j’étais courageuse, et là non plus, je n’ai pas compris. Quand je dis aux gens que je vis seule avec deux enfants de deux pères différents, on me dit que je suis courageuse aussi. Quand je dis qu’à 46 ans je suis retournée sur les bancs de la fac pour étudier la philosophie, on me dit que je suis courageuse. Mais je ne vois pas de courage dans tout ça, je vois simplement des tentatives désespérées de trouver du sens dans ma vie et pour l’instant je ne suis pas sûre d’y être arrivée.

J’aimerais avoir trouvé jeune le métier de mes rêves, j’aimerais être aujourd’hui reconnue dans ma profession et me sentir légitime, installée. J’aimerais être tombée amoureuse d’une personne avec laquelle j’aurais vieilli, grandi, fait des projets et avec laquelle je serai aujourd’hui complice, mais ma vie ça n’a pas été ça pour le moment. Ma vie ça a été des changements de direction professionnelle, des changements de relation amoureuse, des incertitudes, des heurs, des disputes, des doutes, des envies de tout recommencer. Aujourd’hui je suis seule, mais je n’en suis pas fière, je n’en ai pas honte non plus, je ne me sens pas coupable de mon célibat mais n’ayant pas beaucoup d’amis non plus, je me sens souvent seule et cela me pèse. J’aimerais avoir des amis qui m’appellent, qui me demandent comment je vais, des gens avec qui je pourrais échanger sur mes projets, mes envies. Mais je ne sais pas trop me dire à part à des psys. Je sais écouter les problèmes des autres, je sais leur donner mon retour à travers mon vécu, je sais être claire, parler sérieusement tout en glissant un peu d’humour pour alléger mon propos. Je ne sais pas être sûre de moi, j’ai toujours l’impression de prendre trop de place, de trop parler, de parler trop sérieusement. Je m’emballe dans des conversations politiques, économiques, sociales mais je n’apporte rien, je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes, dire des évidences et puis rien. Ma vie est un cliché bobo : un joli discours et aucune action concrète.

Bien sûr j’aide les gens que je croise et qui ont besoin d’aide : dans la rue, au ski, dans ma vie, je suis toujours à l’affût de pouvoir donner mon aide à n’importe quel individu. J’ai massé des gens pendant 12 ans sans jamais gagner d’argent avec cette activité, mais je n’en retire aucune fierté car j’ai la chance de ne pas avoir besoin de travailler. Je suis bienveillante et profondément respectueuse de chaque personne que je rencontre mais ça ne m’apporte pas grand chose car finalement je reste en dehors de tout groupe social. Les bourgeois de ma famille me voient comme une traitre à ma classe, mes amis me voient comme une sorte d’OVNI à la fois sympa et insupportable, et je n’ai plus de collègue de travail parce que j’ai 30 ans de plus que les étudiants qui sont sur les bancs de la fac avec moi et que les professeurs ont un statut qui me laisse très à l’écart d’eux. Donc voilà, je suis là, à presque 50 ans à faire de mon mieux pour éviter de me laisser emporter par mes addictions. Je peux regarder des séries américaines pendant des jours sans m’arrêter, mais je n’en regarde plus une seule depuis plusieurs semaines. Je peux sortir et passer toute la nuit à boire des bières et fumer des joints mais ça m’amène à trouver hyper intéressants des gens qui sans alcool et sans joints n’ont rien en commun avec moi. J’ai une personnalité apparemment facilement sujette aux addictions et j’ai décidé d’arrêter d’éviter de sentir ma souffrance et m’abrutissant, alors je souffre, sans m’abrutir et ça fait mal.

J’espère que je vais réussir à avancer malgré tout. Peut-être que je ne vais pas faire un mémoire de master fantastique, c’est vrai, certainement que ces quelque dizaines de pages ne serviront à rien, à part à me valider mes études, mais c’est déjà pas mal. Peut-être que choisir de traiter du sujet de l’inégalité chez Jean-Jacques Rousseau n’était pas la meilleure idée que j’ai eu, mais après tout, si je change d’idée tous les deux mois, je n’arriverai jamais à produire un travail construit au bout des deux ans et c’est quand même ça l’objectif : arriver à avoir mon diplôme. Oui les autres étudiants ont l’air d’avoir des sujets qui sont bien plus intéressants que le mien, ils ont l’air bien plus capables que moi de faire de la philosophie, de réfléchir de manière construite et intelligente et bien tant pis, c’est comme ça : j’aimerais être au-dessus du lot, mais je ne le suis pas du tout, je suis juste une étudiante moyenne et il faut que je l’accepte. J’ai les larmes aux yeux en l’écrivant : c’est dur pour moi d’accepter que je n’ai rien d’exceptionnel mais il faut que je me fasse une raison. Oui je me sens différente, oui j’ai eu une vie bizarre, étrange par rapport à tous les gens que je connais, mais ça n’est pas parce que je ne fais rien comme tout le monde que je vais réussir à faire quoi que ce soit d’exceptionnel, au sens où je l’entends, c’est-à-dire quelque chose qui change un peu en mieux la destinée de l’humanité. Oui j’aurais aimé être importante, apporter quelque chose au monde qui le rende un peu meilleur, ça m’aurait rassurée sur mon utilité, j’aurais pu plus facilement me dire : « c’est bon, tu as reçu beaucoup de biens matériels à la naissance, tu as reçu une bonne santé, un physique dans les normes hautes des critères esthétiques de ton temps et tu as fait quelque chose de tout ça, regarde, tu as apporté ça au monde, tu as rendu à la hauteur de ce qui t’as été donné. » Mais non, en fait il semble qu’il faille que je me fasse à l’idée que j’ai reçu beaucoup et que je n’ai pas grand chose à donner en retour. C’est comme ça, je n’ai rien d’exceptionnel même si je ne rentre dans aucune case.

Peut-être aussi que j’ai du mal à accepter qu’avec toutes ces facilités que j’ai reçu, j’ai aussi vécu beaucoup de souffrances, de maltraitances, d’agressions et au lieu de regarder tous ces maux, de voir comme ils m’ont handicapée et m’handicapent encore, je refuse de les voir, d’y penser et ainsi je ne vois pas mon handicap et je ne peux pas l’intégrer.

Je m’appelle Céline, j’ai bientôt 50 ans et j’ai subi de nombreuses agressions. Des agressions sexuelles précises au sens où elles sont clairement identifiables, des viols. Un a 15 ans, un à 25 ans. Et puis des agressions sexuelles moins claires, au sens où il n’y a pas un mot précis qui permet tout de suite de voir de quoi il s’agit. J’ai été accostée dans la rue, dans des bars, par des gens qui pensaient qu’il était normal de me parler comme si j’étais un bout de viande sur lequel ils avaient une sorte de droit. J’ai été traitée comme un objet sexuel par des gens qui pensaient que comme j’acceptais de coucher avec eux alors ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec mon corps, sans vérifier si j’étais d’accord. J’ai été harcelée par des gens qui pensaient que parce qu’ils avaient envie de moi alors il fallait que j’ai envie d’eux et qui voulaient me faire changer d’avis si moi je ne voulais pas. J’ai été séquestrée par une personne qui pensait que parce qu’on couchait ensemble alors je n’avais pas le droit de la quitter et qui m’a hurlé dessus pendant des heures avant de me laisser sortir de son appartement. Oui j’ai subi beaucoup d’agressions. Et ça a commencé petite, au collège quand j’ai invité un garçon à passer le week-end chez moi, qu’il est entré dans ma chambre le matin, a violemment retiré la couette qui couvrait mon corps et a vu mon pubis que ma chemise de nuit ne couvrait pas à ce moment-là. Il a ensuite raconté à la classe le lundi matin ce qu’il avait vu et j’ai été moquée parce que mon pubis n’avait pas de poils… étrange d’ailleurs de se moquer d’un pubis prépubère dans un monde où justement il est demandé aux personnes qui ont une vulve de la rendre glabre pour qu’elle soit désirable. Parce que j’étais plutôt du genre garçon manqué, que je trainais beaucoup avec des garçons, alors on m’a largué pour une autre en me disant « sans rancune, hein, on reste pote? » comme si je ne comptais pour rien, que je ne ressentais rien. On m’a quittée aussi une autre fois en me disant que vivre une relation avec moi n’étais pas possible, que j’étais trop rationnelle, pas assez de magie dans ma vie, que c’était d’une autre dont on était amoureux. Une autre fois encore je suis partie parce que la femme qu’il devait quitté est arrivée chez moi et m’a insultée, m’a menacée, m’a frappée alors que soit disant elle était formatée à la patte de son mari depuis toutes ses années. Oui, ma vie ça n’est vraiment pas un conte de fée…

Pourtant ça m’aurait plu à moi d’avoir un homme qui me voit comme la plus précieuse, la plus merveilleuse, la plus enivrante de toutes ses rencontres. J’aurais aimé être la princesse d’un seul qui m’aime pour qui je suis et pas pour qui il aimerait que je sois. J’aurais adoré soutenir quelqu’un dans ses projets et me sentir soutenue dans les miens. Grandir et progresser ensemble. Regarder vers l’avenir en s’imaginant la joie de vieillir ensemble. Mais non, moi ce que j’ai vécu c’est majoritairement des histoires intenses et courtes du type : je t’aime, tu es l’homme de ma vie, je veux rester avec toi toujours, puis j’apprends à te connaitre, je vois que tu n’écoutes pas, que tu n’entends pas ce que je te dis, je vois que qui je suis ne te plait pas, soit parce que je te fais peur, soit parce que je ne te rassure pas assez, soit parce que j’aime trop la logique, le rationnel, soit parce que je veux parler et que ça t’agace… Alors je m’en vais, on ne se parle plus pendant quelques mois, quelques années, et puis on devient potes. Voilà, je suis celle avec laquelle on couche et puis qu’on prend comme pote ensuite parce qu’elle nous a largué. Alors je passe pour la femme forte, solitaire, casse-couille forcément, super plan cul mais caractère de merde. Pourtant je ne me vois pas du tout comme ça. Je me sens sincère, authentique, je me sens curieuse et fidèle, je me sens attentionnée et libre, intéressante, sensible et forte à la fois. Naïve aussi, certainement.

Il faut que je le sois, naïve, pour encore me retrouver à tomber follement amoureuse à mon âge, pour m’emballer et me dire à nouveau ‘lui c’est le bon’ alors que tout indique le contraire, et pourtant, ça m’est encore arrivée, il n’y a pas si longtemps, et c’est déjà terminé. Malgré ma tristesse, malgré mon angoisse permanente, ma rage de vivre m’oblige à voir ce que j’ai gagné dans cette courte relation d’été. Je me suis sentie aimée, vraiment, pendant les deux premiers mois je me suis sentie appartenir à quelqu’un et j’ai aimé cette sensation. Il était marié et m’avait dit qu’il n’y avait plus rien entre lui et sa femme depuis plus d’un an, qu’il allait la quitter, quel cliché, n’est-ce pas? Les premiers temps, je le voyais tous les jours et tous les jours je me sentais aimée, respectée, écoutée et j’ai aimé ça. Malheureusement ça n’a pas duré, il n’a pas quitté sa femme et on a fini par ne plus pouvoir se voir car elle a découvert notre relation et le surveillait tout le temps et ça n’était pas possible pour moi : je ne peux pas être la maitresse cachée, ça ne va pas du tout avec l’importance que j’ai envie d’avoir dans la vie de quelqu’un. Si tu n’es pas disponible pour moi alors tant pis, je m’en vais. Pourtant je pense encore à toi tous les jours, je ne sais pas où tu es, je n’ai plus aucune nouvelle de toi, mais tu es toujours dans mes pensées, mon corps a encore envie du tien et je repense avec nostalgie à nos longues soirées de rires, de discussions, d’amour. Je sais que tu n’es pas bon pour moi, que tu fumes, que tu bois, que tu as des idées étriquées et rétrogrades, pourtant je t’ai aimé profondément et je crois bien que je t’aime encore. Je me rassure en me disant que ma vie est bien plus simple sans toi, que je n’ai pas à me battre sans cesse contre ton racisme, ton homophobie, ton ignorance des faits scientifiques, mais ton regard me manque, ce regard sérieux et puissant que tu posais sur moi et grâce auquel je me sentais puissante, importante, invincible. Oui, pendant un temps, toi le prolo ignorant et obtus tu m’as fait me sentir belle, importante, aimée, grâce à toi j’ai appris comment je voulais être aimée, quelle importance j’avais envie qu’on m’accorde et malgré toute la souffrance, la peur, l’inquiétude que notre relation m’a amenée par la suite, je ne regrette rien. C’est beau ce que nous avons vécu ensemble, ça m’a fait beaucoup de bien avant de me faire beaucoup de mal.

Et alors, maintenant quoi? Et bien toujours pareil, continuer à vivre malgré la peur, continuer d’étudier malgré la difficulté, continuer la sobriété malgré la souffrance, continuer l’espoir malgré les déceptions, quel autre choix? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour vivre dans le flou de la drogue et l’irréel des séries? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’avoir aucun but? Pourquoi continuer à vivre si c’est pour n’envisager que la souffrance sans possibilité de mieux? Aucun intérêt, autant me tirer une balle dans la tête tout de suite : mes enfants sauront très bien s’en sortir sans moi, je n’en ai aucun doute, ils souffriront, bien sûr, mais ça ne les empêchera pas de continuer à vivre. Alors ça n’est pas pour eux que je ne prends pas la porte de sortie, parce qu’il faut être honnête : on ne fait jamais rien pour les autres, nous sommes tous profondément, viscéralement et irrémédiablement égoïstes. Non, si je reste, c’est pour moi, c’est parce que malgré la peur j’aime vivre, j’aime voir la couleur du ciel au coucher du soleil, le contraste sur les montagnes après la pluie, sentir sur ma peau la chaleur du soleil ou la caresse d’une main amie. J’aime aussi ma souffrance puisqu’elle me dit que je suis encore en vie. J’aime cette rage que je sens en moi qui se révolte de manière aussi stupide et naïve qu’une Miss France à la moindre injustice, là aussi, elle me dit que je suis encore en vie et dans la vie. Alors oui ça m’emmerde de n’avoir rien d’exceptionnel, oui je suis triste de ne pas servir à améliorer l’humanité, oui ça me fait bien chier d’être une parmi des milliards et rien d’autre mais je ne veux pas me laisser anéantir par cette déception. Je continue, j’essaie ce truc : avoir mon master de philo, passer mon capes, enseigner la philo. Si j’y arrive, c’est bien. Si non, et bien j’ai un plan B : même si je n’ai pas mon master, je peux passer le concours pour être prof dans le primaire et ma licence de philo me servira aussi dans cette option. Et puis il y a aussi le plan C : continuer à écrire, peut-être m’essayer à des trucs un peu moins inintéressants que raconter ma vie, parce qu’à vrai dire, tout le monde s’en fout de ce qui peut bien m’arriver au quotidien, ça n’apporte rien à personne! Certes ça m’aide, ça me fait du bien de vomir mon mal-être sur le papier, mais ça n’est quand même pas très folichon en terme d’utilité publique (toujours cette putain d’utilité…) alors peut-être que le plan C ça pourrait être écrire… mais quoi? Et puis putain je vis à une époque où le moindre couillon de base pense qu’il peut être intéressant, il y a des dizaines, des centaines de bouquins récents dans la moindre micro librairie de quartier, qu’est-ce que moi je pourrais bien avoir à dire de plus? Je ne sais pas… et là aussi, je crois que mon envie d’être utile va devoir sérieusement réduire son champ d’action : au lieu d’être utile au monde, si déjà je m’étais utile à moi-même ça serait pas mal! Peut-être que je pourrais simplement publier un bouquin pour le simple plaisir, terrifiant et excitant à la fois, d’avoir quelqu’un qui lise ce que j’écris, peut-être que ça me serait juste utile à moi, à me sentir un peu reconnue par le peu de personnes que mes propos pourraient intéresser… Ouais, je sais, c’est pas  gagner!

La peur de demain

La peur de demain

C’est beau dehors : les arbres, les animaux, les gens
C’est triste dehors : la mort, la pollution, la violence, tout le temps…
Et dedans qu’y a-t-il ? Des questions, des peurs, des joies,
De l’amour, du désir pour toi, rien que toi !

J’ai peur de demain, peur de mourir, peur du plus rien
J’ai peur pour mes enfants, pour moi, pour les tiens
J’ai peur de demain et ça m’agace !
Quelle couleur aura ma trace ?

C’est laid dehors : les déchets, la guerre, la famine
C’est laid dehors : trop de viande, air vicié, les mines
En moi cet amour de mes enfants, ma famille, des humains
Et pour toi la tendresse, les caresses, mes mains

J’ai peur de demain, peur de périr, peur du néant
J’ai peur pour mes enfants, pour moi, pour les gens
J’ai peur de demain et ça m’enrage !
Quel souvenir de mon passage ?

Dehors c’est comme ça, un peu à cause de moi…
Dehors vraiment ? Ne serait-ce pas un autre dedans ?
En prenant soin de moi, je prends soin de toi,
Je veille sur mon dedans, je protège l’environnement.

J’ai peur de demain, peur de la guerre, du vide
J’ai peur pour mes enfants, pour moi, pour nous
J’ai peur de demain et je suis avide
D’amour, de désir, de sexe, de nous.

Ben voilà j’l’ai dit et qu’est-ce que ça change ?
J’ai peur des jours devant, de perdre mes anges.
Toi aussi, un jour je te perdrai, fin de l’amour,
Mais toujours je garderai le souvenir de tes contours.

J’ai peur de demain, peur de vieillir, de mourir,
J’ai peur pour moi, ma famille, mes amis,
J’ai peur de demain et je résiste
En aimant, souriant, jouissant, je persiste.

Et même si dehors, dedans, tout part en couille,
J’aurais quand même fait de mon mieux pour vivre en vrai
Sentir, ressentir, éprouver, profiter avant la rouille
Jouir de mon corps, de mon esprit, de l’air frais
Jouir avec ton corps, ton esprit, ton air vrai.

Spiralex (14/07/2019)

L’humain et l’écologie, Aux origines de l’univers,  L1 Philosophie, note obtenue 16/20

L’humain et l’écologie, Aux origines de l’univers, L1 Philosophie, note obtenue 16/20

La science, les sciences ou plutôt les scientifiques nous disent depuis des années que le mode de vie des humains nuit à notre planète pourtant rien ne change. Tout se passe comme si la vérité scientifique appartenait au monde de la science, un monde à part en dehors de la réalité, pour reprendre Goodman. En effet, il semblerait que notre façon de recevoir l’information scientifique soit la même que notre façon de regarder une fiction ou de lire un roman : ça nous fait peur sur le moment, puis nous nous rassurons en nous disant que ça n’est pas la réalité. Notre monde réel c’est celui de la finance, de la croissance, de l’économie de marché, c’est lui que nous croyons, lui qui nous guide, lui sur lequel nous nous appuyons pour avancer. Comme pour Platon, notre référentiel n’est plus la réalité du monde sensible mais l’abstrait du monde intelligible. Qui a-t-il de plus concret que la disparition de 70% du vivant sur les 40 dernières années ? C’est une donnée apparemment très réelle si notre référentiel symbolique est celui du monde des vivants, c’est un chiffre terrifiant si le monde sensible est bien celui qui est notre réalité. Pourtant la déforestation continue, la construction humaine continue et ainsi la diminution d’espace de vie pour les vivants non-humains. Pourtant la pollution continue, notamment celle des océans avec nos déchets qui font un continent dont la taille avoisine 6 fois celle de la superficie de la France. Ce monde réel, naturel, vivant, cette réalité sensible ne panique pourtant qu’une minorité d’humains, la majorité s’en moque et continue sur cette voie suicidaire. Tout se passe comme si la rationalité scientifique, cartésienne ne comptait pas. Qu’est-ce qui est important alors ? Et bien il semble que ce soit le monde de l’abstrait, le lieu intelligible de Platon. Quoi de plus abstrait que l’argent ? Il ne permet ni de manger, ni de s’abriter, ni de rire, il est simplement un outil, un moyen pour atteindre une fin celle de manger, de s’abriter, de rire. C’est une abstraction sur laquelle la totalité de la planète a réussi à se mettre d’accord : personne ne discute le fait qu’en donnant de l’argent un individu peut recevoir en échange une marchandise. Or le but de la déforestation, du capitalisme, de l’économie de marché, de la bourse est bien la croissance, autrement dit l’augmentation de la quantité d’argent produite. Il est donc clair que le but est d’augmenter l’importance d’une abstraction, d’une idée, d’une chose appartenant à l’intelligible et pas au sensible. Brassens nous disait qu’il était d’accord pour mourir pour des idées, mais de mort lente, nous choisissons exactement cette voie : mourir lentement pour une idée.
A quoi sert ce raisonnement un peu simpliste ? Et bien a pas grand-chose car une fois cette évidence annoncée, quelle conclusion en tirer ? Nous sommes des êtres d’une bêtise incommensurables et méritons de mourir ? Peut-être mais c’est oublier un peu vite Léonard de Vinci, Mozart, Picasso, Rimbaud, Victor Hugo, Jeff Koons, Einstein, Marie Curie, Simone de Beauvoir, Frida Kahlo c’est-à-dire la production artistique, littéraire, scientifique, intellectuelle de ces mêmes humains. Les émotions que nous apportent la musique, la peinture, la sculpture montrent que nous sommes également capables de subtilité, de douceur, d’intelligence constructive, de voir le monde autrement. Et puis même si nous n’étions vraiment que des brutes épaisses en train de tout détruire sur notre planète, notre mort n’est quand même pas si anodine : d’abord parce que c’est triste l’idée que nous allons tous mourir, ensuite parce que nous entrainons avec nous une quantité de vivants non-humains qui eux, pour le coup, n’ont rien fait, c’est tout simplement injuste, scandaleux, violent.

Bien, donc nous allons de manière certaine dans la direction de l’effondrement, tout cela parce que nous accordons plus d’importance à l’abstrait qu’au réel et nous emportons avec nous une majorité du vivant. Pourtant nous sommes capables de produire aussi de belles œuvres et nos avancées scientifique ont aussi permis des progrès tout à fait intéressants en termes de santé, de technologie, d’accès à la connaissance, de diffusion de l’information. Qu’est-ce que l’individu lambda peut bien faire de tout ça ? Bien sûr chacun peut y aller de son geste du quotidien, trier ses déchets, éviter d’acheter des objets neufs ou du plastique à usage unique, oui nous pouvons choisir de consommer moins et mieux, mais cela change-t-il vraiment quelque chose ? Disons que cela amène vers un changement progressif de ce qui nous est proposé : chouette ! une enseigne d’hypermarché propose maintenant de la vente en vrac et nous pouvons même amener nos contenants pour emporter ces denrées. C’est vrai, c’est un progrès, cela suffit-il à produire des effets au niveau de la planète ? Certainement pas. Faut-il pour autant se dire qu’il est inutile d’agir au niveau individuel ? Absolument pas : un peu moins pire c’est toujours mieux que pire.
Comment faire alors au niveau individuel ? Comment ne pas sombrer dans le désespoir absolu ? C’est vrai après tout cette jeune fille, Greta Thunberg, qu’elle soit manipulée ou pas dit une chose intéressante aux politiques européens, elle leur demande d’avoir peur, de paniquer comme elle panique. Et c’est effectivement effrayant : la perspective que dans 30 ans, des centaines de milliers de personnes vont devoir quitter leur lieu de vie pour trouver refuge ailleurs est effrayante, où vont-ils aller ? Qui va les accueillir ? Cela va-t-il engendrer des guerres ? Nos enfants devront-ils vivre dans un monde où, comme à l’époque de la Grèce antique, la paix n’est qu’un temps entre deux guerres, la guerre est la norme qui régit le monde ? Cette perspective est tout à fait effrayante, triste, désespérante. Alors la seule chose raisonnable à faire est peut-être de sombrer dans la dépression : le monde va à sa perte et je n’ai aucun moyen d’action pour éviter cela, tout est perdu. Ça n’est pourtant pas très satisfaisant comme conclusion. C’est compréhensible, assez logique, mais pas très satisfaisant pour un être vivant aussi adaptable, intelligent et créatif que l’humain. Il est face à un défi qu’il n’a jamais connu : accepter d’avancer vers moins. Changer de paradigme et désigner comme ringard celui qui prend l’avion tout le temps, qui accumule les richesses, qui veut faire de la politique sans écologie. Les humains qui jusqu’à présent admirent le bling-bling, se régalent des paillettes et vénèrent le multimilliardaire doivent changer de référentiel. C’est maintenant le paysan bio, l’entrepreneur qui paie ses impôts, celui qui fait le choix de ne jamais devenir milliardaire en redistribuant l’argent produit au fur et à mesure de sa production, en impôts, en salaires, en investissant dans les outils de production qui doit devenir notre nouveau héros, que nous devons admirer. Mais ce changement de paradigme prend du temps. Alors devons-nous mettre en place une révolution marxienne : confisquer tous les outils de production et de transport ? Cette fois non pas pour mettre en place une dictature temporaire du prolétariat mais une dictature durable de la production raisonnée, écologique, durable. Facile à dire, comment le faire ? Qui serait prêt à voter pour une personne dont toute la campagne serait basée sur une réduction de nos libertés individuelles, sur une réduction de notre liberté de consommer, de nous déplacer ? Personne, ou une minorité pas assez représentative. Pour pouvoir renverser la tendance il nous faudrait être, à l’image des algériens en ce moment, des millions dans les rues à réclamer un changement vers une politique d’intégration de l’humain dans son environnement et plus de domination. Nous devons reprendre notre place au sein de la nature et plus la considérer comme notre propriété que nous pouvons exploiter. Nous devons retourner à l’intérieur de la nature et plus se considérer en dehors d’elle, ou supérieur à elle.

Il ne faut jamais dire ‘je’ dans une dissertation ou une explication de texte, je choisis ici de le faire, pour donner un point de vue et non pas pour parler de ma petite personne qui, en tant que telle, n’a pas d’importance. Pendant 12 ans, j’ai reçu dans mon cabinet des personnes qui venaient se faire masser. Quel rapport entre la fin du monde et le massage-bien-être ? Et bien pas grand-chose et en même temps j’avais trouvé, pendant quelques années, une forme de réponse personnelle, utopique à la question posée plus haut : quoi faire à titre individuel face à ce désastre ? L’être humain, tellement attaché au monde abstrait qu’il vénère, en vient bien souvent à oublier son propre corps. Mon expérience personnelle me montre que cela se traduit, chez les personnes qui sont passées sous mes doigts, par une déconnexion entre la tête et le reste du corps. Bien sûr, physiquement, notre corps inclus le visage, le crâne, les oreilles, pourtant en termes de conscience, de perception de soi, parmi les centaines de personnes que j’ai massées, une majorité perçoit en elle deux entités : moi et mon corps. En effet, j’ai très souvent entendu des propos comme : j’ai mal mais ça va passer, il faut que je me repose mais je n’ai pas le temps, je sais bien que je devrais faire du sport, ça fait des mois que j’ai une douleur et je n’ai pas demandé d’avis médical ou encore c’est pénible ce corps qui ne fait pas ce que je veux. Toutes ces phrases ont en commun une chose : ce qui est perçu à travers le corps est considéré comme une information extérieure. Il y a le moi, qui je suis au sens ce que j’ai à faire, ce que mon cerveau, ma pensée, mon sens des responsabilités m’impose et à cela je dois obéir, il y a une sorte de non-choix, de sensation d’obligation pour cet aspect-là. Je dois travailler, je dois être à l’heure, je dois respecter les conventions sociales, je dois gagner de l’argent. Et, de fait, c’est une réalité : pour vivre dans un monde où tout est payant il faut avoir de l’argent, pour cela il faut travailler et pour garder son travail il faut être à l’heure et respecter les conventions sociales. Pour autant pourquoi cela oblige-t-il à mettre entre parenthèses les informations que notre corps nous envoie ? J’ai massé des personnes riches, des personnes pauvres, des personnes issus des classes moyennes et la majorité ont la même attitude : les informations de douleur, de fatigue, de sensibilité qu’envoie leur corps à leur cerveau sont annexes et sont prises en compte après, voir bien après, les données de leur environnement extérieur. Et je suis d’ailleurs exactement comme tout le monde : en ce moment j’ai des étirements qui m’ont été prescrits quotidiennement, et j’oublie très souvent de les faire, je fais passer mon corps après, au second plan.
Il ne s’agit pas bien sûr ici de porter un jugement : nous faisons chacun de notre mieux au quotidien avec ce qui nous est accessible par notre éducation, notre environnement, nos capacités personnelles. Il s’agit ici de voir la cohérence entre le monde global qui, parce qu’il s’intéresse plus à l’abstrait qu’au concret va droit dans le mur et le monde individuel tel que j’ai pu, à ma toute petite échelle, en être témoin. Dans les deux cas c’est l’extérieur qui prime sur l’intérieur. Ce que nous sommes a moins d’importance que l’idée que nous nous faisons du monde ou de nous-même. Et je n’avais absolument pas conscience de cela pendant mes 12 années de massage, j’avais uniquement comme objectif d’aider à faire sentir le corps. Je me disais que si je pouvais aider une personne, ne serait-ce que pendant quelques minutes, à sentir la cohérence entre elle et son corps, à sentir que son corps c’est elle, alors c’était une bonne journée. Bien sûr cette action en tant que telle n’a pas grand intérêt : un individu parmi des milliards qui rencontre un autre individu parmi des milliards, une conscience ou deux qui sont présentes à la totalité d’elles-mêmes pendant quelques minutes ça n’a rien de révolutionnaire. D’autant plus que le massage existe depuis des milliers d’années dans des cultures très anciennes comme la tradition indienne de l’Ayurvéda par exemple. L’idée ici est d’interroger la popularité croissance en France, en occident, des techniques de bien-être, des pratiques souvent qualifiées d’alternatives.
Il y a dans ces techniques alternatives beaucoup de méthodes dites ‘énergétiques’ où il s’agit non pas de toucher mais de sentir à distance. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment ses techniques revendiquent parfois une assise scientifique en invoquant la physique quantique. Le peu que j’ai compris de la physique quantique, c’est-à-dire presque rien, me montre que la probabilité que le reiki ou la médiumnité aient quoique ce soit à voir avec la mécanique quantique est proche de zéro, mais cela a-t-il de l’importance ? Tout comme Dieu est réel pour les personnes croyantes, la réalité de la ‘guérison’ obtenue par le biais du reiki, du rééquilibrage des chakras, de la libération des âmes ou tout autre méthode dite énergétique ou spirituelle peut être avérée pour une personne pour laquelle l’existence des chakras, des âmes ou de l’énergétique est réelle. De même, pour quelqu’un qui croit à l’existence de la mémoire de l’eau, l’homéopathie est un médicament et non pas un simple placébo. Pour autant, il me semble dangereux de faire s’opposer les pratiques alternatives et la science, la médecine : certes donner à son enfant un peu d’arnica quand il se cogne peut le soulager par l’effet placébo et le rituel mis en place, pour autant prétendre soigner un cancer avec du reiki et de l’énergétique me semble criminel. Bien sûr chacun est libre de croire en ce qui lui fait du bien, maintenant le manque de formation, de cadre dans ce monde du bien-être, de la ‘médecine alternative’ est parfois inquiétant. La facilité avec laquelle une personne ayant fait un week-end de formation s’auto-proclame ‘thérapeute’ est déconcertante. Nous sommes très loin de l’ascète juif dédié à la vie contemplative. S’il s’agit de soigner alors soigner quoi et pour quel résultat, quel est la pratique sur laquelle tout cela s’appuie et quels en sont les fondements théoriques ? Il est parfois bien difficile de répondre à ces questions simples et légitimes. Pourtant reprendre contact avec son corps, réintégrer au sens individuel notre intériorité comme il faudrait réintégrer l’intérieur de la nature au sens global est une direction intéressante. Les philosophes antiques observaient le monde qui les entouraient, en cherchaient les fondements, les principes pour les appliquer à eux-mêmes et à la cité. Il s’agissait non pas de théoriser seulement le monde mais bien d’appliquer à l’homme l’ordre parfait du monde. Peut-être qu’une piste que nous sommes en train d’explorer est le cheminement inverse : observer l’intérieur de soi pour aller vers le monde.
Dans le monde occidental, en parallèle de l’argent, les méthodes asiatiques avec le yoga, le massage, la méditation prennent de plus en plus de place. Il est devenu très tendance de faire du yoga, de la méditation, d’être bouddhiste ou encore de se faire masser. La méditation entre dans les cliniques et permet de diminuer les conséquences négatives post-opératoires. Même les villes moyennes ou petites comme Grenoble regorgent de cours de yoga et de lieux pour se faire masser ou pratiquer la méditation. Certes ces pratiques sont encore pour le moment l’apanage de la partie riche de la population, pourtant elles sont entrées dans les MJC, les maisons des jeunes et de la culture qui permettent d’accéder à des activités à des tarifs réduits. Ces activités ont en commun de demander à l’individu de se concentrer sur lui-même, sur son corps pas en tant qu’outil de projection social mais en tant que personne, une sorte de réincarnation : je reprends possession de mon enveloppe corporelle ici et maintenant. C’est également le cas avec les pratiques martiales comme le Tai-Chi, le Chi-kong, des pratiques lentes, centrées sur l’intériorité du corps. Et c’est bien ce que l’homme doit faire avec la planète : reprendre conscience qu’il est à l’intérieur de la nature, qu’il est une partie de la terre, qu’il appartient à son environnement. Tout comme il y a identité entre moi et mon corps, il y a identité entre l’homme et la nature. Si mon corps n’est plus là, je ne suis plus là. C’est le principe du quadruple remède, le tetrapharmacon d’Épicure : les dieux ne sont pas à craindre, la mort n’est rien, il est facile de se procurer le bonheur, le mal est facile à éviter. La mort n’est rien parce que lorsqu’elle arrive je ne suis plus là or lorsque la mort est là, le corps disparaît, de désagrège. C’est la souffrance qui est crainte mais là encore : la mal est facile à éviter, autrement dit la souffrance physique n’est que temporaire et au pire débouche sur la mort et ça n’est rien et le mal que nous commettons nous pouvons aisément choisir de l’éviter. Si je n’ai donc plus peur de la souffrance physique, je peux l’accepter au lieu de la fuir absolument, si j’accepte la souffrance physique alors je peux ressentir la douleur et ainsi sentir la présence de mon corps immédiatement. Bien sûr nous retirons notre main quand nous sentons la brûlure mais est-ce que nous laissons venir à notre conscience nos sensations de douleurs plus subtiles, est-ce que nous les regardons en face et les prenons pour des informations valables, importantes et à partir desquelles nos actions doivent découler ? Tout comme nous attendons de voir s’écrouler notre monde de manière brutale, terrifiante et immédiatement présente sous nos yeux avant de réagir, nous attendons de ressentir une douleur forte, impossible à ignorer et persistante pour nous en occuper. Nous agissons envers nous-même, notre corps exactement comme nous agissons envers notre nature : sans signal d’alarme fort, nous ne réagissons pas.

Donc il y a analogie semble-t-il entre nos attitudes particulières et notre attitude globale. Alors qu’est-ce qu’un signal fort à l’échelle de la planète ? Imaginons que l’information selon laquelle 70% du vivant a disparu sur les 40 dernières années ne soit pas accessible à l’ensemble du monde, ce qui est certainement le cas, l’importance de ce chiffre rend inévitable une perception individuelle du désastre, donc le signal fort est présent. Il est vrai que, de fait, il y a presque 30 ans lorsque je passais mon permis de conduire, il me fallait m’arrêter régulièrement pour nettoyer mon pare-brise sur un long trajet : celui-ci avait coupé la route à de nombreux insectes et j’étais donc responsable d’une hécatombe. Aujourd’hui ma voiture ne barre plus le chemin de personne sur des centaines de kilomètres : les insectes ont disparu. Si je me voyais vraiment comme partie intégrante de la nature, alors les insectes seraient mes frères, mes cousins, des membres de ma famille ou au minimum des membres d’un même groupe que moi, le groupe des vivants. Cette conscience me rendrait profondément triste, j’aurais l’impression d’avoir perdu une partie de moi-même et avec cette conscience-là, l’ensemble des humains serait dévasté par cette tristesse et prendrait de toute urgence des mesures pour tenter de rendre leur juste place à nos frères insectes. Pourtant, comme la majorité des humains, je me sens très éloignée des insectes et ça n’est qu’en faisant un effort de pensée, en écrivant par exemple, comme je suis en train de la faire, que je peux sentir un lien avec eux, je ne sens pas ce lien spontanément. Et c’est bien le problème : la propreté de mon pare-brise, chose inanimée construite par l’homme est quelque chose de pratique que je classe dans la catégorie des avantages pour moi alors que la réaction normale serait la panique. J’emploie ici le mot normal au sens de ce qui est logique : la disparition d’une grande quantité d’espèces vivantes comme les insectes est un indicateur d’un environnement naturel néfaste pour la vie, je vis dans cet espace, il serait donc logique, normal que la disparition de la vie m’effraie et me fasse craindre pour ma propre survie. Pourquoi ai-je besoin de tant de réflexion pour être paniquée par la disparition des insectes ? Parce que je suis séparée de mon corps, de ma nature, de mon environnement. Si, par mon logos, par ma réflexion, je reprends possession de mon corps, je réintègre consciemment la réalité de mon corps, assemblage de molécules vivantes qui ont besoin, pour survivre d’un environnement adapté, alors je redeviens une part de la nature et là je pleure la disparition des insectes, là je suis terrifiée du monde que je laisse à mes enfants, là je suis terrassée par ma sensation d’impuissance et là je sombre dans une profonde dépression dont je me sors en regardant une série américaine sur mon ordinateur.

Donc spontanément l’homme n’a plus conscience de son corps, de sa réalité matérielle d’être vivant, il a besoin, pour en avoir conscience, de faire un effort de pensée, de réflexion. Une fois qu’il a réintégré son corps, il prend à nouveau conscience de son appartenance à la nature, de son état d’être vivant parmi une quantité importante d’autres êtres vivants. A ce moment-là il prend conscience de ce que représente ce chiffre un peu abstrait jusqu’à présent : 70% du vivant a disparu dans les 40 dernières années. Il se rend compte qu’il a tué, sans s’en apercevoir, la majorité de sa famille, de ses frères et il se sent alors tétanisé, pris par la culpabilité, la souffrance, la tristesse, le désespoir, il se voit comme un monstre et se sent incapable de trouver une solution. Je suis responsable et je ne peux rien faire. C’est trop dur à supporter, il se réfugie dans ce qu’il connaît, la société de consommation rassurante qui lui fait oublier son corps, oublié son état d’être humain, oublier son état d’être vivant et il peut retourner à sa vie avec un niveau de tristesse acceptable, il peut respirer, marcher, vivre pour le moment, en attendant l’effondrement. Bien sûr c’est pathétique, bien sûr il se rend compte de son inutilité, bien sûr il voudrait faire quelque chose, seulement il ne sait pas quoi faire : comment un petit humain peut faire face à cette immensité désastreuse. Alors il espère, il signe des pétitions, il marche, il parle autour de lui, il apprend à ses enfants et il culpabilise un peu aussi de ne pas faire assez : c’est dur de lutter contre le désespoir et d’agir, c’est dur de ne pas se laisser envahir par cette tristesse et de croire qu’il peut y avoir du ‘un peu moins pire’. Alors oui, nous allons tout droit vers la catastrophe, oui les petits gestes individuels ne suffisent pas et sont pourtant essentiels et oui parfois, comme dirait Blanche Gardin, on peut se dire que franchement, c’est une super invention le suicide et que c’est vraiment un truc à garder ! Et pourtant quelle merveilleuse sensation que d’écouter des musiciens improviser ensemble et communiquer uniquement avec les yeux. Quelle beauté de voir la lumière du soleil sur la montagne après la pluie quand les contrastes sont tels que la moindre différence de couleur de la roche émerveille. Et oui ça fait aussi du bien de se laisser emporter de temps en temps par le monde parfait et binaire d’une bonne série américaine. Une simple caresse sur la joue de mon enfant et toute la tristesse du monde disparaît, et ne reste plus que la douceur, l’amour, l’incroyable certitude que rien ne pourra jamais venir ternir cet amour, ni la guerre, ni la mort, il sera là, toujours. Oui nous sommes des êtres absolument merveilleux, respectables, adaptables, créatifs et créateurs et oui nous sommes aussi, et je suis volontairement grossière, des merdeux irresponsables et inconséquents, des adolescents persuadés de tout savoir, de tout faire mieux que tout le monde. C’est comme ça et c’est peut-être en ayant de la tendresse pour cet adolescent et de l’admiration pour ce créateur que nous pourrons réintégrer notre corps, notre place dans la nature.